A Paris, la cuisine japonaise fait fl orès. Oublions les sushis et les sashimis, à l’ère de la fusion et de la mondialisation, la « Jap Cooking » a pris un malin plaisir à se recentrer sur ses techniques, ses produits et ses variations autour d’un patrimoine inconnu.

 

Au début des années 60, le cinéaste italien Marco Bellocchio titrait son film enragé La Cina é vicina (La Chine est proche). Pour le mao qu’il était à l’époque, la Chine était parente mais le Japon un voisin lointain. Certes, ses homologues nippons de la Nouvelle Vague, Oshima en tête, apportaient eux aussi des nouvelles contrastées d’une société en ébullition, au seuil de l’insoumission. Mais encore figée par l’épilogue ouvert d’une Deuxième Guerre mondiale qui semblait avoir tout cristallisé à l’ombre d’Hiroshima. Le Japon, un monde à part, avec ses codes, ses secrets, un imaginaire indifférent à la logique occidentale. Il fascinait, égrenant ses premières fashion victims. Roland Barthes pouvait bien s’y ressourcer pour mieux plonger dans « L’Empire du sens », il n’en reste pas moins qu’à nos yeux, et palais, d’Occidentaux, sa cuisine demeurait énigmatique. Des poissons crus, des algues, des sauces sur-iodées, des condiments ultrapiquants. Sans oublier ces images sulpiciennes d’assiettes spartiates, aussi zen que le vide mental, nettes et tranchantes. Des clichés rétorquera-t-on, mais toujours d’actualité dans nos villes. Les grands chefs français, avec trois métros de retard sur le reste de la planète, ont pris le tournant vers l’Orient de l’extrême, rapportant de ses inaccessibles contrées l’image apaisante de futuristes métropoles et de campagnes millénaires, scandées par l’immuable passage du temps. Humaine trop humaine, enfin : la cuisine japonaise se donne at last, nous laissant entrevoir un quotidien alimentaire. Anguilles, algues, racines, macérations, tempura, croquettes et viandes à la vapeur ou mijotées : à chaque adresse sa spécialité. Elles offrent le bonus d’un zoom, d’un mode d’emploi concentré sur sa propre particularité. Paradoxalement, ce sont les flammes de Fukushima qui nous auront définitivement rapprochés du Japon. Poulpes, poissons et crustacés, rigoureusement contrôlés, viennent des pêches françaises, les légumes de nos maraîchers. Garantie de fraîcheur, d’une proximité avec nos sources nourricières. Qui a aussi le pouvoir d’éloigner, avec le fantôme de Fukushima, cette part de troublante altérité qui est toujours allée de pair avec les ombres et les lumières du mystère japonais.

 

IZAKAYA ISSÉ

LE + SAKÉ

Pas besoin d’être un salary man japonais pour prendre, à la sortie du bureau, la poudre d’escampette et oublier la pression du métro-boulot-dodo en s’accoudant au comptoir de la nouvelle version d’Issé, conservatoire du lifestyle japonais. Désormais, on l’appelle Izakaya Issé, soit un bistro non pas à vins mais à sakés. Il y a bien sûr à boire, sans modération si on le souhaite, mais aussi à déguster, avec une satisfaisante cuisine familiale où les brochettes de porc vont de pair avec les aubergines au miso, les tempura avec des tsukemono, des roboratifs légumes et racines macérées. Formule light à midi (12 € le plat du jour) pour ceux qui peuvent déserter le bureau.

45, RUE DE RICHELIEU, PARIS IIE,

tél. : 01 42 96 26 60.

 

KUNITORAYA 2

LE + UDON

Un emblème de la perception du Japon à Paris. Cela procure un heureux clash des cultures de rentrer dans cette ancienne brasserie, un peu 1900 sur les bords, gardée telle quelle avec ses stucs, ses préciosités surannées qui jurent un rien avec les tables dans leur plus simple appareil. Ici, c’est le temple des udon, des pâtes jap au blé que l’on sert – comme dans la maison mère – indifféremment chaudes ou froides, nature avec des sauces pour les accommoder,ou dans de divins bouillons revigorants. Entre deux nouilles, on fait un sort aux superbes fritures et au porc pané pour des déjeuners (37 €, gargantuesque) qui, bento box aidant, ont valeur d’inclusive tour du Japon en vol low cost.Le soir, c’est prix forfaitaire (70 €) et jap tapas pour tous.

5, RUE VILLEDO, PARIS IER,

tél. : 01 47 03 07 74.

 

NANASHI

LE + GIRLIE JAP

On aime Nanashi pour son côté pop, son medley mélodique de cantoche show off et de bien nipposantes nourritures, aussi cross over que Ryuichi Sakamoto à l’époque de Yellow Magic Orchestra. On y mange de tout : des salades locavores, des bentos de poisson, des onigiri farcis, de bien rafraîchissantes soupes exotiques, tout un éventail de mets ancrés dans les replis de la mémoire d’une sacrée go-betweenneuse de la cuisine japonaise en la personne de Kaori Endo, dont le livre Une Japonaise à Paris fait office de bible pour les initiés comme pour les novices.

20-30 €.

31, RUE DU PARADIS, PARIS XE,

ET 57, RUE CHARLOT, PARIS IIIE,

tél. : 01 40 22 05 55.

 

ISAMI

LE + TRANCHÉ

On peut y aller avec l’espoir de s’incliner devant Issé Miyake. Ou de papoter avec Jean-Paul Gaultier, un habitué. Ou encore pour s’extasier de la vue sur l’île Saint-Louis. Ou tout simplement pour se retrouver bouche bée face au patron hiératique coupant, tranchant, effilochant son poisson en silence derrière son comptoir, pour des préparations au cordeau. L’art de la découpe, de la chair ferme et fondante du thon rouge, des salades d’algues à peine irriguées d’un subtil vinaigre de riz. Du cru dans sa totalisante exploration, entre crevettes et espadons, crabes et maquereaux transpercés et comme rendues par l’acier tranchant à leur plus authentique intimité.

Menus : 36 €, carte : 50 € et plus.

4, QUAI D’ORLÉANS, PARIS IVE,

tél. : 01 40 46 06 97.

 

TORAYA

LE + 5 À 7

Plus seventies, tu meurs. Certes, le décor est plus que sobre, le service aussi envahissant que les sempiternels chants d’oiseaux en bande-son, mais on ne rentre pas chez Toraya pour sa seule renommée de salon de thé. A midi, quelques plats salés, notamment le sand curry de la famille des hamburgers végétariens (aubergines, tomates, tofu, épices) mais on adore aussi les pâtisseries ancestrales, les tatsuta no sato, variations obsessionnelles autour des brioches d’igname à la vapeur farcies de pâte de haricot rouge. Cela fait un peu Courrèges nippon, un peu Kenzo expliqué aux retardataires : de la divulgation pour gentry féminine en post-shopping. Du revival japonais comme si vous y étiez, même si, à Osaka, nous n’avons jamais siroté du thé matcha glacé.

10, RUE SAINT-FLORENTIN, PARIS IER ,

tél. : 01 42 60 13 00.

 

SHU

LE + À CROQUER

Connaissez-vous les kushiage ? Non, ce ne sont pas des coquillages japonais. Plus simplement des brochettes panées telles qu’elles sont surtout pratiquées dans la région d’Osaka. Baissez la tête et passez le portail moyenâgeux semi-enterré pour gagner le petit espace voûté (attention à votre sciatique !) et préparez-vous pour un défilé de baguettes en bambou, chacune transperçant un ou plusieurs produits. Enroulées dans la farine, puis précipitées dans l’huile brûlante, elles offrent un snack food croustillant de saveurs inouïes. Tout l’empire du Soleil levant en friture : des poulpes et des oursins, des fleurs de lotus et des radis, et même du foie gras au miso (le péché mignon jap pour la sensualité occidentale). Cela s’étire sur un menu d’une petite quinzaine de plats, s’achevant sur une boulette de riz hyper-moelleux, le mochi si cher à Gen d’Hiroshima, le manga de Keiji Nakazawa. Menus : de

38 à 56 €.

8, RUE SUGER, PARIS VIE,

tél. : 01 46 34 25 88.

 

KAISEKI

LE + KAISEKI CASH

Le kaiseki, nul n’est censé désormais l’ignorer, c’est l’art japonais d’agencer tout un repas en respectant un ordre d’apparition donné des produits et du mariage de saveurs. Ici, chez Hissa Takeuchi, l’enfant terrible de la cuisine nippone à Paris, la tradition prend une bouffée de folie, les mets s’emballent, proposant une expérience de dégustation les doigts dans la prise électrique de l’innovation. Bouillons, dashi, kombu et wakame en goguette, cru et cuit indifférenciés avec insouciance. Bluffant pour sûr, imprévisible toujours, Hissa connaît par coeur toute la différence entre étonner et épater. Impressionnant, tout comme les prix le soir, 100 € et beaucoup plus.

7 BIS, RUE ANDRÉ-LEFEBVRE, PARIS XVE,

tél. : 01 45 54 48 60.

 

HAPPA TEÏ

LE + HAPPY TACOS

A chaque jour son nouveau vocable. Aujourd’hui, c’est takoyaki. Presque des tacos à serrer entre les doigts – attention : chaud brûlant –, à base de poulpe ou de pieuvre, bouillis ou grillés façons barbecue puis enroulés dans une jolie pâte à crêpes qui rappelle les petits choux. Il y a de la douceur sucrée (de la sauce Bulldog, peut-être trop), une double dose de mayo nipponne, bien gluante. C’est jouissif, régressif, une parfaite trouvaille pour street fooderrue Sainte-Anne… ou à emporter chez soi. On peut également consommer les takoyaki quelques degrés Celsius moins chauds, peut-être même en les accompagnant d’une okonomiyaki, l’omelette du Soleil levant.

64, RUE SAINTE-ANNE, PARIS IIE,

tél. : 01 42 96 60 40.

 

BIZAN

LE + RYOKAN

Un conservatoire jap, le quartier général de monsieur Kuroda, l’agitateur culturel également derrière le Workshop Issé. Ici, on fait dans la haute couture, dans le raffinement dépouillé à l’extrême et le meilleur des produits disponibles sur la place de Paris. C’est un festin pour la vue et pour le palais, livrant sans attaches des compositions de sashimi d’une fraîcheur sidérante et des séquences en plusieurs services dignes d’un menu kaiseki. L’esprit est zen, hors du temps et pour peu que l’on goûte les palourdes en soupe de miso ou les tempura, on se croirait dans un ryokan hors du temps. Masahiro Adachi a du génie (les additions sont conséquentes). Menu bento : 42 €, kaiseki : 65 €, carte : 70 €.

56, RUE SAINTE-ANNE, PARIS IIE,

tél. : 01 42 96 67 76.

 

NODAIWA

LE + ANGUILLE

A deux pas de chez Colette, Nodaiwa est le royaume de l’anguille. On la sert en sushi, dans des soupes. Mais surtout laquée, fondante dans ses saveurs fuyantes, sa chair épaisse exsudant de vertes senteurs marines, confite avec sa sauce de soja et servie emphatiquement avec son bol de riz, imprégné de ses substantifiques humeurs jusqu’à évanescence de la vapeur. Plusieurs formules, plusieurs menus, mais un seul produit phare. C’est sublime de justesse maniaque, et on ne s’en lasse pas. Menus : 35-47-55-65 €.

272, RUE SAINT-HONORÉ, PARIS IER,

tél. : 01 42 86 03 42.

 

GUILO GUILO

LE + NEW LOOK

Ne désespérons pas. Tôt ou tard, on finira par décrocher un tabouret dans cet atelier de haute volée. Deux services et une vingtaine de places au comptoir, plus quelques tables annexées à la bonne franquette. Eichi Edakuni trône en maître de cérémonie dispensant, pour un menu forfaitaire (45 €) changeant selon l’inspiration du moment, sa version du kaiseki new look. Des fleurs, des épices, du cru et du cuit, des bouillons kyotoïtes et même du foie gras en sushi pour les moins regardants en matière de tradition.

8, RUE GARREAU, PARIS XVIIIE,

tél. : 01 42 54 23 92.

 

 

KAI

LE + MODE

Rue de Rivoli, à deux pas de la boutique de Yohji Yamamoto, le patron vous accueille habillé en Comme des garçons. Chez Kai, dans un joli décor urbain en bois apparent, on est forcément polyvalent, on fait du kaiseki des beaux quartiers : il y a des sushis, des sashimis, de sapides salades aux algues, des bouillons au riz, des tempuras aériennes, des poissons aux sauces astringentes. Et même, pour nous rappeler qu’on est bien à Paris, quelques pâtisseries signées Pierre Hermé.

Menus : 42-69-135 €.

18, RUE DU LOUVRE, PARIS IER,

tél. : 01 40 15 01 99.

 

SOLA

LE + XXIE SIÈCLE

Hiroki, vous l’avez peut-être croisé dans la cuisine de Pascal Barbot, le lutin triplement étoilé de L’Astrance. En solo, il pratique une pindaresque cuisine franco-japonaise, en décalage entre tradition obsessionnelle et touches d’innovation. Dans un décor monastique, il sort de ses chaudrons des trouvailles de kaiseki du troisième millénaire : gelées de dashi avec de la bonite en pureté, calamars en feuille de chou, légumes marinés et viandes divinement rôties nappées d’une sauce de moromi à l’aigre-doux. Desserts magnifiques et sakés du même niveau. Une des adresses capitales de la capitale en 2011. Menu du soir : 60 €.

12, RUE DE L’HÔTEL-COLBERT, PARIS VE,

tél. : 01 43 29 59 04.

 

 

YEN

LE + ZEN

On ne parle plus aux gens qui n’aiment pas Yen. Le décor est minimal, le service distant. Mais c’est presque un lieu brechtien, un espace à l’abri de Saint- Germain, entièrement voué à la dégustation des nouilles soba. Yen est zen, Yen est minimal. Chez Yen, un yen est un yen. Et il en faut beaucoup pour apprécier à leur juste valeur ces pâtes artisanales de sarrasin, faites chaque jour de bonne heure. Nulle part ailleurs plus qu’ici l’adage « less is more » a trouvé tout son sens dans ces assiettes de nouilles froides (ou en bouillon) dégustées nature. Pas festif festif, mais méditatif absolument. Les distraits pourront se refaire avec des tempura parmi les plus sublimes de Paris. Comptez 50 €.

22, RUE SAINT-BENOÎT, PARIS VIE,

tél. : 01 45 44 11 18.