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Le petit ATR parti de Saint-Martin vire légèrement sur l’aile. En contrebas, par le hublot, le littoral accidenté de l’île la plus prisée des Caraïbes.

Des plages frangées de sable blanc et une mer translucide. Un confetti sauvage et volcanique de 25 km2 devenu le hot spot des voileux les plus smart de la planète mer. L’hiver,ils fuient la Méditerranée pour venir naviguer dansles lagons émeraude sous le ciel azuré. Ce n’est pas parce que le port de Gustavia, la capitale, est encombré de yachts dont les propriétaires possèdent des villas gigantesquessur les hauteurs, que les vrais marins n’ont pas droit de cité, bien au contraire. Depuis 2010, Les Voiles de Saint-Tropez ont essaimé dans une version tropicale qui connaît un engouement de plus en plus grand : Les Voiles de Saint- Barth. A la lumière tombante, c’est un spectacle que de regarder les voiles s’affaisser les unes après les autres. En tout, 53 navires d’exception, des plus chic aux plus rapides, des plus imposants aux plus effilés, des plus luxueux aux plus anciens. Ceux qui ne trouvent pas leur place au ponton,en raison de leur format maousse costaud, se mouillent plus au large.

Les équipages, chicissimes dans leurs tenues aux armes des propriétaires, descendent à terre au rythme frénétique des bouchons de champagne qui sautent.« Sojana », « Rambler », les chemises siglées des équipages indiquent l’appartenance de chaque équipier à son navire. Dans le dos, certains affichent un écorché du bateau. On se doit d’être dans le ton. Surtout, on est entre soi, entre habitués, on se connaît, on se reconnaît, on se tutoie. Pendant les cinq jours que durent les régates, ils envahissent joyeusement les quelques ruelles du petit port de plaisance, avec ses barques colonialescolorées, sagement alignées enretrait. Pas de Porsche ni deMercedes, mais des MiniMoke. Pas de tentes prévuespour accueillir les VIP, maisdes terrasses de café en bois.De toute façon, ici, c’est sanschichi. Même les milliardairesmarchent pieds nus ou entongs. Ils sont chez eux.Anglais, Américains ouFrançais, ils exhibent leursnavires de port en port pourconcourir avec leurs pairs.Une passion coûteuse puisqu’ilfaut compter environ 400 000euros de menues dépenseschaque année.

Un bon skipper,6 à 7 équipiers permanents,les frais de port, d’accastillage,l’entretien, l’essence…la facture monte vite quand ilfaut plusieurs jeux de quatrevoiles à des milliers d’eurospièce pour être compétitif.Le soir, on se retrouve dansles meilleurs restaurants del’île et les plus beaux hôtelsfréquentés par la jet-set. On est entre hommes, car la voile est une passion pleine de testostérone où prime le fait d’arriver premier. Les femmes sont tolérées le soir, en robes de soie Cavalli et escarpins Louboutin, mais elles viennent rarement. Alors pour se consoler, on débouche du Taittinger, le sponsor officieldes voiles. Y compris quand on a perdu. Car dans la voile on est fair-play. Un jeu d’enfants, la voile ? Oui, de grands enfants. Les yachtmen passent en revue les plus belles unités dans l’un des endroits les plus prisés de la planète riche.

Les Voiles de Saint-Barth, c’est une cour de récré pour gentlemen, le genre de truc dont vos rêves sont truffés quand vous êtes môme. Elles marquent la fin de la saison du circuit de régates, avant que les unités reprennent le chemin de la Méditerranée. Super yachts, voiliers classiques, de course, croisière ou  multicoques… l’épreuve est ouverte à toutes les catégories et s’inscrit dans le calendrier hivernal régatier des Antilles. Au petit matin, dans la baie de Gustavia, des yachts incroyablement beaux gonflent leurs muscles et montrent leur force alors qu’ils lèvent leurs voiles vers l’horizon. Tendus vers le ciel,les mâts s’étirent à l’infini tandis que leurs coques fendent une eau turquoise. Un vrai paysage de carte postale que ce cœur névralgique du yachting chic. Un mélange d’opulence et de beauté minérale. Surtout par une belle journée ensoleillée, sans un nuage à l’horizon, avec en toile de fond le léger relief volcanique de l’île, troué çà et là de quelques longues plages de sable blanc. Sur les quais encombrésde cordages et de sacs de voile, les équipages s’affairent.Ils ne veulent pas décevoir leur armateur, généralement un entrepreneur ou un self-made-man, qui barre lui-même son bateau. L’intérêt pour le propriétaire, c’est que c’est aussi l’un des rares sports où il peut faire partie de l’équipe. Un peu comme au polo.

Et le progrès technique aidant, cela encourage la compétition et crée de l’émulation entreles armateurs. A lui d’écouter les indications de son tacticien qui doit le conseiller, l’encourager et le convaincre. Comme à la bourse, les gains ou les pertes sont immédiats et visibles.

Dès le milieu de la matinée, les géants des mers sortent de la baie les uns après les autres. Ils tirent des bords, attendant que le bateau comité se positionne, définissant ainsi, avec la bouée déjà ancrée, la ligne de départ. Bien entendu, il faut la franchir à pleine vitesse. « Mais que les choses soient claires, précise Bruno Troublé, barreur de l’un des concurrents, on est avant tout ici pour s’amuser dans un endroit exceptionnel, plus que pour faire un résultat. » Les Voiles sont autant une parade qu’une compétition. 30 miles, soit 52 km d’un parcours côtier, c’est vraimentdu sport lorsqu’on navigue au près et qu’il faut virer de bord très fréquemment. Dans ce cas, les membres d’équipage servent de ballast à chaque virement de bord. Ils sont à la gîte les pieds dans le vide pour faire contrepoids lorsque toutes les voiles sont gonflées. Au large,les alizés remplissentles voiles, loin des transats des hôtels de luxe. A bien des égards,la côte volcanique, au loin, a de furieux airsde côte bretonne, surtout lorsqu’un petit grain tropical vient rafraîchirla chaude journée.La mer est un peu agitée et forme quelques creux manœuvrés par des vents de 20 nœuds. Malgré tout, le temps demeure assez clément. Une gageure pour les voiliers de la flotte, plus importante que l’an dernier, signe que le soufflé a pris. Sur Sojana,le ketch Custom Farr de 115 pieds (35 m !), propriété de Peter Harrison, bien connu des circuits régatiers de Méditerranée, le compteur digital indique une vitesse de 18 nœuds.

En raison des difficultés à manœuvrer un tel engin,14 membres d’équipage ne sont pas de trop. Mais la houle ne semble même pas avoir prise sur sa carène qui s’avère très tolérante. Sur son écran tactile, le tacticien vérifie chaque périmètre comme la position du bateau par GPS. A bord, les virements sont calibrés et les réglages millimétrés. Chaque marin sait ce qu’il a à faire. Aller chercher le gennaker, border une voile, mouliner le winch ou annoncer une priorité à un autre yacht à tribord. Surtout s’il s’agit de Rambler, sorte de machine de guerre qui trône en tête de la course des méga-yachts. A la barre, Ken Read, qui skippa Puma dans la dernière Volvo Ocean Race. Le vieux loup de mer l’assure : « Les conditions de navigation dépassent mes rêves les plus fous. » Comme lui, un certain nombre de marins de prestige vient gonfler les rangs des équipages habituels à l’occasion des régates de Saint-Barth. Après Loïc Peyron l’an dernier, c’est un autre poids lourd de la voile française que l’on a croisé sur les pontons cette année, Bruno Troublé.

Le skipper, ancien barreur du défi français du baron Bich dans l’America’s Cup en 1983, est celui qui s’est le plus rapproché de la fameuse coupe. Depuis trente ans, il est aussi l’organisateur de la Louis Vuitton Cup. Prochaine édition en 2013 à San Francisco. Autant dire qu’il sait jauger un événement nautique. A Saint-Barth, il barrait Skiip, un joli bateau de croisière : « J’adore cet endroit, c’est vraiment des conditions extraordinaires pour faire de la voile. Après, sur un plan sportif, je trouve qu’il y a trop de catégories et pas assez d’enjeux techniques. Et puis, je n’étais pas revenu ici depuis que j’avais croisé dans le coin au milieu des années 80 et que j’avais reçu à bord Rudolf Noureev, qui possédait une maison ici et fut l’une des premières stars à s’établir. J’en garde un souvenir ému. » Comme lui, nos gentlemen sailors avec leurs incroyables machines à voile semblent en tout cas faire partie à jamais de l’âme de l’île.

En savoir + : www.lesvoilesdestbarth.com, www.saintbarth-tourisme.com

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