BOTSWANA

Aux frontières de la Namibie et du Botswana coule le fleuve Chobe aux berges peuplées d’animaux sauvages. Embarquement pour une croisière exclusive à bord du « Zambezi Queen » jusqu’aux célèbres chutes Victoria.

La barque glisse lentement sur le fleuve au milieu des murmures de la savane embrasée par le couchant. Des éléphants et des hippopotames dessinent des ombres chinoises sur la rive opposée. Au-dessus, les arbres dénudés comme s’ils sortaient du pinceau d’un Bernard Buffet se refl ètent dans l’eau orange sanguine tandis que les roseaux et les nénuphars oscillent en silence au passage de l’embarcation. Et puis soudain surgit le Zambezi Queen, brillant de tous ses feux, tel un navirefantôme échoué au fin fond de ce rêve austral…  Impossible à l’évocation de ce nom de ne pas songer au célèbre fi lm de John Huston, African Queen, sorti en 1951. Humphrey Bogart et Katharine Hepburn y descendaient un fl euve africain jusqu’à des rapides afi n de couler un bateau allemand. Les bateaux allemands ont disparu depuis longtemps mais les rapides courent toujours à quelques miles de là – ceux du Zambèze que le Zambezi Queen a déjà franchi une fois à ses risques et périls. Depuis lors, il erre sur la vingtaine de kilomètres navigables du fl euve Chobe tel un songe flottant rescapé de l’enfer. Un songe qui se décline sur trois ponts, quatorze cabines et deux terrasses. A tribord, la Namibie. A bâbord, le Botswana.Ou peut-être est-ce l’inverse, mais qu’importe ? L’esprit part à la dérive tandis que Charles, le capitaine anglais du Zambezi Queen, tire des bords qui ressemblent à des arabesques. Le reste de l’année, Charles achemine des bateaux de guerre ou de commerce à Lagos ou à Dares-Salam. Autant dire qu’on peut lui faire confiance et s’abandonner à la nuit africaine, avec ses noms et ses légendes, la rumeur lointaine de sa faune perdue dans les derniers rougeoiements du soleil. Au petit matin, il fait frais et beau. C’est l’hiver. Qui ne rêverait pas de pareils hivers ? Les terres sont inondées et les animaux s’abreuvent le long du fleuve. C’est un défi lé de buffles, d’éléphants et d’hippopotames que l’on observe derrière les baies vitrées du Zambezi Queen en sirotant son café. L’impression d’être sur un lodge à la dérive. Ou dans une croisière immobile. Il est grand temps d’accoster et de revenir sur terre. En route pour un safari dans le Parc national de Chobe. Premiers à nous accueillir, les traditionnels impalas– les McDonald’s de la savane, ainsi que les surnomment les locaux. Et pour cause : à quelques mètres de là, une lionne, sous un arbuste, les surveille d’un oeil langoureux. Plus loin, deux kudus broutent paisiblement. Savent-ils seulement le danger qui

les guette ? Quelqu’un annonce un guépard sur le talkie-walkie. On est presque surpris de voir débarquer une Jeep remplie de Japonais avec des masques. Depuis le Zambezi Queen, on avait l’impression que l’Afrique nous appartenait. C’est le paradoxe du touriste : il veut voyager mais être le seul à le faire. C’est un aristocrate impénitent. Un jouisseur égoïste. Et jouisseurs, nous continuons, tout à notre bestiaire personnel : hippopotames immobiles, aigles stoïques, colonnes d’éléphants, buffles menaçants, girafes dédaigneuses, singes grimaçants. Soudain un bébé crocodile. « Oh, un sac sur pattes ! », s’exclame une femme à mes côtés. Les rires font s’envoler des aigrettes. Un groupe d’hippopotames s’ébrouent dans l’eau. Douze pêcheurs sont morts l’année dernière par leur faute. Nous préférons fi ler à l’anglaise. De retour sur le Zambezi Queen, repos dans la cabine. La baie vitrée ressemble à un écran géant sur lequel serait projeté un documentaire de National Geographic. Un long travelling sur une des régions les plus riches en animaux d’Afrique australe avec le parc Kruger et le delta de l’Okavongo. Puis balade en bateau et pêche au leurre. Nous attraperons quelques poissons-tigres aux dents presque aussi effrayantes que celles des crocodiles. A quelques encablures de là se trouve un village de pêcheurs que nous visitons le lendemain. Baobab, toits de chaume, vaches errantes et enfants rieurs : tout y est. Pourtant, le lieu n’a rien d’un attrapegogo. Les Soubiya, l’ethnie locale, semblent vivre ici depuis la nuit des temps. Seule concession à la mondialisation : le lecteur DVD du chef du village. J’imagine qu’on doit le prendre pour un grand sorcier. Les hommes reprisent leurs filets sur les pirogues ; les femmes promènent leurs enfants sur le dos. Chacun est plus ou moins cousin avec le voisin. Certains ont jusqu’à huit épouses. D’autres en rêvent en allant faucher les blés. La vie coule, aussi paisible que le fleuve Chobe. Le soir, rien de tel qu’un gin tonic face au fleuve pour se sentir comme Stanley, Livingstone ou ces grands explorateurs du XIXe siècle qui sillonnaient l’Afrique à dos d’éléphant. Depuis que j’ai appris que les anciens colons qui se soûlaient à ce breuvage n’attrapaient jamais la malaria, j’ai perdu toute pudeur quant aux dosages. La quinine, qui permet de lutter contre la malaria, se trouve dans le tonic et non dans le gin. Mais pour une fois que j’ai trouvé un argument hygiéniste pour boire ! Charles, le capitaine, me parle des merveilleux oiseaux qu’on observe à cette période de l’année : les cormorans des roseaux, les hérons géants… Je dois lui avouer que je ne sais même pas reconnaître un moineau au jardin du Luxembourg. Puis nous évoquons les Bushmen, les Afrikaners, l’ancienne Rhodésie – ah ! la Rhodésie – devenue aujourd’hui le sinistre Zimbabwe de Robert Mugabe, mais où se jettent toujours les Victoria Falls, l’une des sept merveilles du monde. « Il faut le voir pour le croire », me dit-il. Eh bien soit, nous verrons… A peine une heure de route, cinq