Dans la musique electro, la touche française existe-t-elle vraiment ? Oui, à travers le regard des Anglo-Saxons qui l’ont conceptualisée. Flashback et ouverture sur le futur d’une vague de fond made in France.

 

DE LA PRÉHISTOIRE À LA FRENCH TOUCH

Pendant longtemps, l’image de la France dans le domaine pop était celle d’une nation aux pieds de plomb. Depuis Edith Piaf, les artistes français qui avaient réussi à franchir la Manche ou l’Atlantique ressemblaient plus à des accidents industriels : Serge Gainsbourg et Jane Birkin forçant la porte des charts avec le song le plus licencieux de l’année érotique, « Je t’aime moi non plus ». Ou Vanessa Paradis sussurant d’une voix de Lolita « Joe Le Taxi » au mitan des eighties. Jean Michel Jarre, qui parcourt le monde avec ses méga-shows, trouve alors auprès des musiciens anglais un crédit durable, et ouvre incontestablement une brèche.

ELECTRO LIBRE

Laurent Garnier, cofondateur du label historique F Communications, fut l’un des premiers à donner sa version française de l’électro house. Après avoir quitté l’école hôtelière, il travaille à l’ambassade de France à Londres, où il découvre une scène nocturne bouillonnante. En 1987, il mixe désormais à l’Hacienda, club mythique de Manchester, fondé par New Order. Dans un lieu aussi anglo-centré, il faut évaluer à sa juste mesure cet adoubement. Si l’appellation « french touch » a été popularisée par la presse anglo-saxonne, c’est en France qu’elle est née : le boss de F Com, Eric Morand, avait conçu une série de blousons promo ornés de la formule « We give a french touch to house » (On apporte une couleur française à la house). Appellation certes marketing mais parlante, tant cette vague a regroupé une génération de groupes à dominante électronique dont le premier dénominateur commun était, comme dans le rap, le code postal : 78, soit Versailles. Ghetto aristo, maison mère d’Etienne de Crécy, de Air, de Phoenix et du duo qui a tout révolutionné : Daft Punk..

LES PUNKS CRÉTINS

Pourtant, Thomas Bangalter et Guy-Manuel de Homem- Christo se sont rencontrés à Paris, au lycée Carnot. Ils ont démarré dans le rock indé avant de découvrir l’univers des raves et la musique électronique américaine, house de Chicago et techno de Detroit. L’origine de leur nom ? La chronique d’un de leurs premiers concerts par un journaliste britannique qui les traite de « punks crétins » (Daft Punk). Guy-Man et Thomas aiment ça, ils s’approprient le nom. Premier maxi en 1994, premier album deux ans plus tard, Homework. Il sonnera comme le tonnerre sur les parquets et les charts de la planète dance. « Teachers », « Da Funk », « Around The World », « Rollin’ & Scratchin’ » presque pas de paroles, quelques mots en anglais trafiqués grâce aux machines. Des montées orgasmiques, des filtres, une rythmique pneumatique. Universel. Les Anglo-Saxons de la dance music sont battus sur leur propre terrain. La french touch est prête à envahir le monde.

LA VERSAILLES TOUCH ?

Bien que très loin de la scène dance, Air, duo versaillais, est assimilé au mouvement. Leur son précieux et spatial évoque Pink Floyd et le rock psyché, et les Américains s’intéressent à ces virtuoses dès leur premier disque, le superbe Moon Safari. Sofia Coppola fait appel à eux pour la BO de son Virgin Suicides. Le chanteur du morceau qui clôt le film, Thomas Mars du groupe Phoenix, deviendra le mari de Sofia durant l’été 2011. La french touch s’exporte. D’abord avec Motorbass, puis en solo, Etienne de Crécy est une autre pièce du puzzle FT. Pansoul, l’unique album de Motorbass, est de ces disques qui fi xent l’image d’une génération musicale. Loué par la presse british, il n’aura pas de suite. De Crécy sort Superdiscount en 1997 (et son tome 2 en 2004) tandis que Zdar fonde Cassius en compagnie d’Hubert « BoomBass » Blanc-Francard. Slogan de Cassius pour leur album 1999 : « Si vous ne dansez pas, c’est que vous êtes mort. » Pharrell Williams collaborera au troisième album sur le morceau « Eye Water ». Zdar : « C’est le genre de mec qui chante pour un million de dollars et là, il l’a fait pour rien. Ça prouve que c’est un passionné de musique ». Le regretté DJ Mehdi, qui débuta dans le son avec le groupe de rap Idéal J et qui a réalisé l’album du 113 Les Princes de la ville, était l’un des espoirs de l’electro des années 10. Quelques jours avant sa mort tragique le 13 septembre dernier, il faisait un tour du monde des clubs avec Pedro Winter, du label parisien Ed Banger, mixant à quatre mains le son de demain.

FRENCH TOUCH, US CASH

Il y a vingt ans, De La Soul samplait deux chansons obscures de Serge Gainsbourg parce qu’un éditeur malin leur avait fait tourner le coffret de son intégrale. En 2011, Jay-Z et Kanye West samplent le refrain du classique de Cassius « I Love You So » sur leur morceau « Why I Love You ». Pas pour faire chic, non : juste pour faire des dollars avec un hit imparable. Et le même Jay-Z, décidément d’inspiration très frenchy, a bouclé un extrait de « Dance », le tube de Justice, sur « On To The Next One », le premier single de son dernier album. « Ils ont pris un extrait décontextualisé hyper-court et ils se sont autopersuadés que leur boucle disait “On To The Next One” alors que nous on savait que c’était autre chose », raconte Xavier de Rosnay, moitié du duo.

IMPORT/EXPORT

Bob Sinclar, Martin Solveig, David Guetta : trois fers de lance de l’electro tricolore. Mais au-delà du succès commercial, quel lien entre ces artistes à part leur nationalité ? Xavier de Rosnay, de Justice, n’est pas dupe. « Quand on nous propose de produire des disques ou de faire des premières parties, la première question qu’on pose, c’est : “A qui d’autre avezvous demandé ?” Et on se retrouve avec Paul Oakenfold, David Guetta, Bob Sinclar, les Daft et nous. Quel rapport ? Aucun, mais pour les Américains, c’est juste des Européens qui font de la musique moderne. Et ça, c’est plus fort que la musique en elle-même. » Gaspard Augé, l’autre moitié de Justice, enfonce le clou : « C’est assez drôle, on se rend compte que la perception que le public a de la musique est faussée ou subjective. J’imagine que pour 80 % des gens, on fait la même musique que David Guetta. » En 2011, la french touch a un double visage : celui du démon Justice, duo avant-gardiste jouant le rôle des punks du dancefloor avec une musique bruitiste, aussi bien influencée par Kraftwerk que par Queen et Metallica. Et celui de l’ange Guetta, capable de s’offrir les guests US les plus hype,de Nicky Minaj à Akon en passant par Snoop Dogg, Kelly Rowland, Lil Wayne, Timbaland et Jessie J. Without You, le dernier single de Guetta featuring Usher, fracasse le top 20 du Billboard. Nothing but The Beat s’annonce comme l’album de tous les espoirs pour Guetta aux Etats-Unis. Son rêve américain.