Quel rapport entre la première nuit et une période de préavis ? A priori rien, sinon que dans le premier cas, on dispose de six ou sept heures pour convaincre de son génie… là où dans l’autre, on bénéficie d’un à trois mois, pour démontrer que l’on n’est pas aussi nul(le) que l’on semblait l’être les premières minutes.

 

On le sait, la réalité est cruelle et « les faits sont têtus » affirmait Lénine : la première fois est – en règle générale – calamiteuse : se retrouver, souvent en plein jour, nu comme un ver et blanc comme une meringue face à quelqu’un qui, finalement, nous est relativement étranger, exige des qualités de hardiesse, voire d’héroïsme, assez exceptionnelles. Que nous sommes assez rares à posséder. Car que faire ? Qu’oser ? Que dire ? Qu’entreprendre ? Dit-on : « Foutue salope, t’aimes ça, hein ? ! » à la jeune ;femme trendy, analyste fi nancière, draguée deux heures auparavant dans le bar d’un grand hôtel ? Sans parler des incidents de parcours navrants, même s’ils sont souvent liés au stress, à la crainte de mal (ou trop) faire, à l’insatisfaction que nous inspire notre propre esthétique : impuissance, éjaculation précoce, frigidité subite, découverte de perversités inédites et désolantes chez l’autre partenaire… Il n’y a que Christine Angot pour parvenir à transformer une soirée avec un « individu entraîné dans une spirale hautement alcoolisée » (Rendez-vous, Flammarion, 2006), comme dit la presse lorsqu’elle évoque les errances éthyliques de John Galliano, il n’y a donc qu’elle pour métamorphoser ce type d’aventure foireuse en un pur instant de grâce… Mais tous les autres ne disposent pas de l’imagination adéquate. Auquel cas, l’exemple littéraire d’une Catherine Millet qui parvient à multiplier par douze, voire par quinze, « les premières fois » en l’espace de cinquante minutes dans un club échangiste, peut faire office d’un excellent substitut. La multitude a en effet ceci de bon qu’elle gomme effi cacement l’appréhension. Une « première fois » multipliée par quinze, est en effet équivalente à zéro, n’en déplaise aux mathématiques classiques. Elle interdit tout affect. Et surtout, désamorce le moindre élan de tendresse qui pourrait être perçu comme une demande d’« engagement » (mot terrifiant pour la race masculine, nécessitant de toute urgence l’emploi de gousses d’ail et d’un crucifix, en attendant le lever du soleil qui fera perdre tous ses pouvoirs au vampire en nuisette…). Enfin, le club échangiste résout le second grand obstacle de la soirée : « l’après ». Car il y a « l’après » qui n’a pas grandchose à voir avec l’after que connaissent bien nos lecteurs fêtards. L’after, c’est la continuation de la fête. « L’après » sonne son glas. Quelques minutes plus tard après l’apothéose ne demeurent plus, en effet, sur le matelas aseptisé d’un grand hôtel Méridien, que deux individus légèrement interdits, n’ayant souvent pas grand-chose à se dire. Que faire ? Griffonner sa ligne directe sur un Post-it avec le risque qu’elle fi le aussi vite dans la poubelle ? Choisir l’académisme : « J’aimerais beaucoup te revoir si, bien entendu, tu le désires aussi… » ? Quitte à entendre une voix embarrassée murmurer tout bas : « Tu sais, j’ai une vie très compliquée… » ? Sachant que depuis Facebook, « situation sentimentale compliquée » renvoie souvent à « je baisouille un peu partout ». Et si finalement, la meilleure solution, si tout s’est miraculeusement bien passé, c’était de ne rien demander, partir sur la pointe des pieds, en abandonnant un baiser tendre et une carte postale qui dirait simplement : « Peutêtre un jour irons-nous voir la mer ? » Un peu de poésie dans un monde de brutes.

* Élizabeth Kaplan est journaliste, spécialiste de l’économie.