Oussama Ben Laden n’est pas mort, DSK est victime d’une conspiration internationale, Michael Jackson, toujours en vie, prépare un film dans le plus grand secret, etc. Plus aucun fait d’actualité, plus aucun événement majeur, n’échappe désormais à l’élaboration d’une nouvelle théorie du complot. Démonstration et mode d’emploi pour espérer être à l’origine du prochain buzz qui fera vibrer la Toile et les médias du monde entier.

Le 1er mai dernier, le soir même de l’annonce de son décès, la photo du cadavre d’Oussama Ben Laden inonde le Web et les rédactions en quelques minutes. Le visage tuméfi é du leader d’Al-Qaida traduit l’extrême violence de l’assaut mené par les forces spéciales américaines. L’ennemi public no 1 n’a pas été assassiné, il a été battu à mort. Dans l’opinion publique, l’impact est immédiat : le Saoudien est mort en martyr. En France, après Twitter et Facebook, les sites Internet du Figaro, du Parisien et du Nouvel Obs sont les premiers à publier le cliché, rapidement suivis par l’Agence France Presse. Quelques heures plus tard, des journalistes de l’agence Reuters révèlent fi nalement qu’il s’agit d’un fake, d’une image truquée, déjà publiée en 2010 sur un site palestinien assurant que Ben Laden est mort depuis décembre 2001. A l’ère d’Internet et du scoop en temps réel, il n’a jamais été aussi facile de manipuler l’information ou de lancer des rumeurs. Car le temps de l’hyper-information dans lequel nous baignons est aussi celui de l’hyperdésinformation. Le 18 septembre 1996, aux premiers balbutiements de l’Internet haut débit, le quotidien USA Today titrait « Anybody with a theory now has a megaphone ». Autrement dit, quiconque a une théorie dispose désormais d’un porte-voix sur Internet. Prémonitoire. En quinze ans, la manipulation de l’information s’est démocratisée. Pour lancer une rumeur ou pour détruire son pire ennemi, il est désormais bien plus effi cace, plus rentable et moins risqué, de monter une opération sordide sur Internet plutôt que de faire appel aux services d’une officine spécialisée ou d’une prestigieuse agence de communication. Les barbouzes des temps modernes ont troqué leurs pistolets et leurs micros espions contre des souris d’ordinateur et des manuels informatiques. A condition de disposer d’un ordinateur et d’une connexion, nous sommes finalement tous aujourd’hui des « barbuzzards » et des théoriciens du complot en puissance.

RÈGLE N°1

BIEN CHOISIR SON SUJET

TOUS LES SUJETS NE SE PRÊTENT PAS À LA THÉORIE DU COMPLOT.

Pour réussir son coup, mieux vaut surfer sur un thème porteur. Quoique surannés et risqués, le mythe du grand complot judéomaçonnique et celui du nouvel ordre mondial restent des valeurs sûres. Les très bons chiffres de vente du dernier livre d’Alain Soral, Comprendre l’Empire (éditions Blanche), témoignent d’un engouement encore bien réel pour ces thèses nées sur le terreau de la Révolution française. Dans le même registre, l’anti-américanisme primaire, façon Thierry Meyssan, compte toujours de nombreux adeptes. Une seule condition : aller droit au but avec une thèse simpliste. Depuis la nuit des temps, l’homme a besoin de trouver des réponses simples à la complexité du monde, aux mystères de la science. Kant appelle cela la « raison paresseuse ». En général, plus c’est gros, plus ça passe, à l’exemple de la dernière théorie à la mode qui assure que le monde est gouverné en secret par des lézards extraterrestres à l’apparence humaine. Barack Obama étant comme de juste le premier d’entre eux. Une autre solution consiste à rebondir sur un fait d’actualité majeur. L’esprit humain a du mal à concevoirdes explications ordinaires à un événement extraordinaire. Les théories autour de l’affaire Strauss- Kahn s’inscrivent dans ce schéma de pensée. De prime abord, son parcours flamboyant, sa brillante carrière et ses nobles ambitions nous paraissent incompatibles avec les faits qui lui sont reprochés. Spontanément, on se dit qu’il ne peut être que l’objet d’une diabolique conspiration planétaire à la hauteur de sa dimension politique. Résultat : deux jours après son arrestation, 57 % des Français croyaient dur comme fer à la thèse du complot. Sa libération et les retournements qui ont suivi n’ont fait qu’amplifi er le phénomène. Les morts de personnalités de premier plan sont à ce titre pain bénit pour lancer de nouvelles théories. Elvis Presley, Coluche, Lady Di ou Michaël Jackson ont chacun connu des destins extraordinaires. Leur disparition ne peut donc être, elle aussi, qu’extraordinaire. Si Nicolas Sarkozy, Johnny Hallyday ou Shakira meurent demain dans un banal accident de voiture, vous serez certain de remporter la mise en twittant quelque chose comme : « Un ami qui travaille dans les services secrets français m’affirme qu’il s’agit d’un assassinat politique ! »

 

RÈGLE N°2

MAÎTRISER QUELQUES OUTILS INFORMATIQUES

 LES NOUVEAUX BARBUZZARDS DU WEB NE FLINGUENT PAS.

Ils piratent votre profil Facebook en injectant des scripts trouvés sur le Web. Ils inondent les forums d’images truquées sous Photoshop ou Gimp. Ils fabriquent des diaporamas grâce à Powerpoint. Ils « uploadent » sur YouTube des vidéos tournées avec leur téléphone et retouchées avec Windows Movie Maker. La différence entre un buzz qui fait « flop » et une solide théorie du complot tient souvent dans la qualité des outils utilisés. Si la vidéo des grains de maïs qui se transforment en pop-corn sous l’effet de quatre téléphones portables continue encore aujourd’hui, trois ans après sa première diffusion, à trouver un certain écho, c’est parce qu’elle est parfaitement réalisée. Un bon barbuzzard doit également être capable de dissimuler sa véritable identité en utilisant de fausses adresses IP ou des serveurs anonymes hébergés à l’autre bout du monde. L’an dernier, l’auteur de la rumeur sur la prétendue liaison adultérine entre Carla Bruni et Benjamin Biolay avait diffusé l’info depuis son vrai compte Twitter. Une grossière erreur à éviter absolument. Le même message posté anonymement sur un site domicilié en Russie et relayé ensuite sur quelques forums bien choisis aurait sans aucun doute permis d’allonger la durée de vie de ce buzz.

 

RÈGLE N°3

ENTRER DANS LA GRANDE FAMILLE DU « JOURNALISME CITOYEN »

VINCENT DUCREY EST CONSEILLER AUPRÈS DU PORTE-PAROLE DU GOUVERNEMENT.

Expert en management de l’information, il est aussi l’auteur du Guide de l’infl uence (éditions Eyrolles) et l’inventeur du Hub. Un concept qui consiste à considérer tous les médias dans leur globalité et à les classer, autour d’une grande roue, selon la vitesse de propagation de l’information : sites Web, sms, mails, blogs, dépêches AFP, journaux, etc. « Nous sommes d’ores et déjà entrés dans la guerre électronique, dit-il, les médias hors ligne et en ligne constituent un même écosystème. Pour lancer un buzz ou une contre-attaque politique de la manière la plus effi cace possible, il faut être capable d’identifier ces relais d’information. » Il est essentiel de respecter un certain ordre médiatique pour diffuser effi cacement une théorie du complot. L’idéal consiste à s’appuyer en premier sur les médias en temps réel (réseaux sociaux, téléphonie) avant de conquérir les médias traditionnels. L’AFP restant in fine le support par excellence pour légitimer une fausse information. Pour cela, il faut être habile pour décliner la rumeur sur tous les tons : un style rapide et incisif pour convaincre sur Twitter, des expressions aguicheuses pour être relayé sur les blogs en vue et, surtout, une écriture plus journalistique pour espérer une reprise dans la presse. La lecture du Journalisme sans peine, de Burnier et Rambaud, aux éditions Plon, peut être un bon point de départ pour trouver le ton juste. Les sites d’information comme Agoravox ou Le Post constituent souvent une étape intermédiaire indispensable pour permettre à une rumeur de franchir les portes des quotidiens et, pourquoi pas, du 20 heures de TF1. Le journalisme citoyen se révèle une formidable machine à relayer les théories complotistes. Les articles publiés sont souvent vérifi és à la va-vite par quelques modérateurs pressés et il est aisé de s’inscrire sous une fausse identité. Il serait dommage de ne pas en profiter.

 

RÈGLE N°4

S’APPUYER SUR DES FAITS RÉELS

LA FORCE D’UNE RUMEUR TIENT DANS SA CAPACITÉ À ÊTRE JUGÉE CRÉDIBLE.

Les expérimentations scientifi ques et les livres d’histoire sont des sources d’inspiration inépuisables. Aux Etats-Unis, les travaux secrets de la Nasa ou du Darpa dépassent souvent l’imagination des meilleurs scénaristes. Il suffit de puiser dans le catalogue des projets les plus fous pour imaginer une rumeur qui tienne la route. Les théories les plus farfelues, nées aux lendemains du tsunami dans l’océan Indien en 2004 et du tremblement de terre à Haïti en 2010, se nourrissent ainsi de l’existence de programmes de recherche sur la manipulation du climat et des forces de la terre. Même s’il est absolument impossible de provoquer artificiellement un tsunami de l’ampleur de celui qui a frappé le Japon au début de l’année, le fait que des projets aient été réellement menés en secret pour générer des mini-vagues suffit à légitimer le buzz. De la même manière, l’histoire regorge aussi de conjurations bien réelles dont on peut aisément s’inspirer. Jules César, Raspoutine, Kennedy et beaucoup d’autres ont vraiment été victimes de conspirations. Ces assassinats politiques sont de la matière brute dont on peut se servir pour lancer une nouvelle théorie sur la mort de Coluche ou sur toute autre célébrité.

 

RÈGLE N°5

CRIER SOI-MÊME AU COMPLOT

LE SUMMUM CONSISTE À SE PRÉSENTER COMME LA VICTIME D’UN VASTE COMPLOT.

Vous devenez ainsi la preuve vivante, incontestable et surtout invérifiable de votre propre théorie. C’est le cas de Daniel Estulin, aujourd’hui « réfugié » en Espagne, auteur de best-sellers planétaires délirants sur l’existence d’un gouvernement mondial occulte. Il affirme que la CIA a essayé à plusieurs reprises de le tuer. N’est-ce pas là la meilleure preuve que ce qu’il dit est vrai ? Le Français Thierry Meyssan, « réfugié » pour sa part à Beyrouth, joue lui aussi sur le même thème mais de manière encore plus subtile. Lu en avril dernier, dans la revue Rivarol : « Je n’aime pas évoquer les opérations qui ont été conduites par la CIA et la DGSE pour m’éliminer parce que je ne peux pas en apporter la preuve. » Imparable.

 

une image vaut mille mots Dans Psychologie des foules, le sociologue Gustave Le Bon soulignait dès 1895 l’impact des images sur l’opinion : « En étudiant l’imagination des foules, nous avons vu qu’elles sont impressionnées surtout par des images. » Rien n’est plus vrai aujourd’hui. Les rumeurs les plus efficaces s’appuient sur des images fortes, truquées ou habilement sorties de leur contexte. En juin 2009, le vol 447 d’Air France, reliant Rio de Janeiro à Paris, se crashe au milieu de l’Atlantique. Quelques jours plus tard, une télévision bolivienne diffuse une vidéo inédite retrouvée

 miraculeusement dans les bagages d’un passager. Sur les impressionnantes images filmées à l’intérieur de la carlingue, on voit la queue de l’avion se couper en deux et des passagers agrippés à leur fauteuil se faire aspirer par le trou d’air. Le scoop est aussitôt repris par des dizaines de chaînes de télévision. Il s’agissait en fait d’un extrait du premier épisode de la série Lost, lorsque l’avion Oceanic 815explose en plein vol avec à son bord Matthew Fox, Josh Holloway et Evangeline Lilly. Un beau travail de barbuzzard !