Vous aimez les (bonnes) séries ? Sachez que plus que les scénaristes ou les acteurs, ce sont les showrunners qui les créent. C’est à leur créativité sans limite qu’on doit tous ces shows qui nous rendent fous. Galerie de portraits.

Les séries américaines sont des oeuvres collectives, à la différence de la majorité des séries hexagonales. A la tête des équipes de producteurs, de scénaristes, de techniciens, de réalisateurs et même de gestionnaires, un seul homme – parfois une femme – le « showrunner », super producteur, souvent scénariste, parfois réalisateur. Les plus grands showrunners, aussi créateurs de leurs séries, imposent les tendances et inspirent les générations suivantes. « L’Optimum » vous présente neuf d’entre eux, qui ont changé l’histoire du petit écran.

 

J.J. Abrams

Le nabab du mystère

Séries clefs : Alias (2001-2006), Lost (2004-2010), Fringe (2008), Alcatraz (2012).

Stakhanoviste, spécialiste de l’action et du gros suspens, J.J. Abrams est l’un des rares créateurs de séries à avoir cartonné avec des productions à gros budgets diffusées sur des chaînes grand public. Formidables recyclages, preuves de l’ultime geekisme de leur créateur, ses oeuvres brillent par leur complexité, parfois poussive, souvent machiavélique. On y va pour se faire surprendre, pour bondir à la fin de chaque épisode, pour s’émerveiller devant tant de mystères, comme on entre dans un labyrinthe. Autrefois très impliqué dans ses séries, Abrams est devenu avec le succès un créateur qui laisse à d’autres showrunners le soin de poursuivre ses histoires.

« Ce que j’aime le plus, c’est parler de la ligne entre réel et extraordinaire. »

 

Alan Ba ll

La mort lui va si bien

Séries clefs : Six Feet Under (2001-2005), True Blood (2008).

Le scénariste oscarisé d’American Beauty entretient avec la faucheuse une relation intime, depuis la disparition de sa soeur dans un accident de voiture dont il fut aussi victime. Poétique, souvent fantasque et coloré malgré la gravité de son sujet, l’univers de Ball ose l’onirisme et la fantasmagorie avec une rare habileté. Subtil avec les croque-morts de Six Feet Under, il ose tous les excès autour des vampires de True Blood, et parvient à éviter le ridicule, même entouré de bestioles grotesques. Il poursuivra sa réflexion entre vie et mort avec Wichita, une série autour de l’avortement.

« Ce que je veux dire, c’est que nous finissons tous par mourir. Alors autant vivre pleinement. »

 

La rry David

Le roi de l’embarras

Séries clefs : Seinfeld (1989-1996), Larry et son nombril (2000).

Il n’a créé que deux séries, mais elles ont à chaque fois changé le paysage sériel

américain. Avec Seinfeld, il a popularisé la sitcom aux héros névrosés éternels célibataires, en permanence embarqués dans des situations humiliantes. Dans Larry et son nombril, il élève au rang d’art le malaise et l’autodérision, en mettant en scène un double irascible de lui-même. Humour juif, héritage du stand-up, sens du politiquement incorrect, David envoie balader les bonnes manières, leur préfère la franchise crasse, et se rend tellement détestable que tout le monde l’adore et veut lui ressembler.

 

Chuck Lorre

La boîte à rires

Séries clefs : Dharma & Greg (1997- 2002), Mon Oncle Charlie (2003), The Big Bang Theory (2007).

Producteur, réalisateur, scénariste, compositeur, Lorre est devenu, en presque trente ans de carrière, la référence absolue de la sitcom. Ses séries attirent plus de 45 millions de téléspectateurs par semaine outre-Atlantique, ce qui fait de lui l’un des hommes les plus puissants de la télévision américaine. Son truc : la sitcom classique adaptée au monde d’aujourd’hui, avec des célibataires endurcis, des geeks ou des obèses. On ne rit pas à tous les coups, mais ça marche. Un tour de force, à une époque où les sitcoms peinent à se renouveler.

 

Shonda Rhimes La dame de coeurs

Séries clefs : Grey’s Anatomy (2005), Private Practice (2007).

Les femmes showrunners sont encore trop rares à Hollywood. Shonda Rhimes est la plus puissante d’entre elles. Son coup de maître : avoir élevé le soap hospitalier de mi-journée au rang de plaisir de soirée, grâce aux lamentations amoureuses et pop de Grey’s Anatomy. Diabolique à force de sucre et de mélancolie, Rhimes sait donner le beau rôle aux femmes, et n’hésite pas à faire des hommes des objets de fantasme, habile retournement des clichés hollywoodiens. Reste à savoir ce qu’elle vaut hors d’un hôpital. La réponse bientôt avec une série aux accents politiques, Scandal.

 

 David Simon

Le sociologue de l’Amérique

Séries clefs : Homicide (1996-1999), Sur écoute (2002-2006), Treme (2010-2014).

Ancien journaliste, reporter embedded avec les stups de Baltimore, David Simon est le maître absolu de la séries d’auteur hyperréaliste. Documentées, historiquement véridiques, ses oeuvres décryptent l’Amérique contemporaine et ses défaillances. L’immense Sur écoute démonte les dysfonctionnements de la justice, de l’éducation et de la police, et ses conséquences : la violence et la misère. Avec Treme, il dresse un portrait de La Nou Nouvelle- Orléans de l’après-Katrina, peinture d’une rare sincérité, débordant d’humanité, drôle et émouvante.

 

Aaron Sorkin

L’homme des coulisses

Séries clefs : Sports Night (1998-2000), A la Maison Blanche (1999-2006), Studio 60 (2006-2007), More as This Story Develops (2012).

Aaron Sorkin est un showrunner en mouvement permanent. Il s’est fait un nom en inventant le « walk and talk », technique de réalisation où les personnages déambulent tout en palabrant. Rien de mieux pour faire découvrir les coulisses du monde politique et surtout médiatique, sa passion – sa prochaine série, More as This Story Develops, à venir sur HBO, aura pour décor une chaîne d’info en continu. Dialoguiste hors pair, Sorkin signe les scripts les plus longs de la télévision, mais rarement pour parler dans le vide.

 

Darren Star

Le sexe et les strass

Séries clefs : Beverly Hills (1990-2000), Melrose Place (1992-1999), Sex & the City (1998-2004).

Difficile de concevoir que c’est le même homme qui a créé Brandon, Brenda, Carrie et Samantha. Star a su faire un carton avec Beverly Hills et Sex & the City, deux soaps aux tons très différents. Avec la première, il fait entrer les séries d’ados dans l’ère moderne, côté fric et frime. Avec la seconde, il libère la parole des femmes, parle de sexe et de désir comme jamais à la télé – sans sacrifier le fric et la frime. Star, gay, aime les femmes, et en parle bien. Il lancera l’an prochain sa première série inédite en plus de dix ans, Good Christian Belles, une descendante de Desperate Housewives.

 

Tom Fontana

Le Magicien d’Oz

Créateur de la mythique Oz et de Borgia sur Canal+,

Tom Fontana, brillant illustrateur de la violence sociale, fait partie des showrunners qui aiment (presque) tout faire sur un tournage.

 

Un showrunner, c’est quoi ?

C’est le Magicien d’Oz derrière son rideau. Un type qui contrôle tous les aspects de la production, du créatif au fiscal.

Vos séries vous appartiennent à 100 % ?

Oz et Borgia sont mes séries car j’en ai créé les personnages et le monde dans

lequel ils évoluent, mais elles n’existeraient pas sans leurs acteurs, leurs réalisateurs, leurs costumiers, etc.

 

Son pouvoir a-t-il des limites ?

Le pouvoir d’un showrunner n’est limité qu’à son imagination, sa détermination et son sens de la diplomatie. Sa liberté créative s’arrête là où commencent les soucis budgétaires. Tout showrunner dépend aussi de ses réalisateurs, mais doit avoir une vision claire des grandes lignes visuelles de sa série.

 

Ses trois principales qualités ?

La résistance physique, la chance et la débrouillardise. Le temps et l’argent sont ses pires ennemis.

 

Est-il une sorte de coach ?

Il l’est, mais il y a tellement d’éléments dans le sport qu’il dirige qu’il doit être capable de coacher à la fois une équipe de foot, de hockey et d’aviron, tout en marchant sur un fil…

 

Est-il un enseignant ?

En quelque sorte. Je ressens le besoin d’encourager la nouvelle génération… mais si la science ne trouve pas un moyen de me rendre immortel, les jeunes se débrouilleront tout seuls !