Il n’en existe que deux en Europe. La centrifugeuse de l’Institut de médecine et de physiologie spatiale de Toulouse vise à mieux préparer les spationautes européens à un voyage dans l’espace. « L’Optimum » a testé cette machine (à accélérer) infernale.

 

Dans la lumière blanche qui baigne le sous-sol, l’engin a quelque chose de vaguement effrayant. L’ambiance, créée par l’éclairage aux néons et le scintillement des écrans d’ordinateurs, est celle de 2001, l’Odyssée de l’espace. Est-ce en raison de sa forme de croix ou encore des sangles qui dépassent des fauteuils et évoquent irrésistiblement les camisoles des chaises électriques ? La centrifugeuse de l’Institut de médecine et de physiologie spatiale (Medes, selon son acronyme anglais) ressemble davantage à un instrument de torture qu’à un manège de fête foraine. Vu du ciel, ses quatre bras de 6 m de diamètre évoqueraient probablement un inoffensif moulin à vent. Mais regardé depuis le sol, l’équipement a une toute autre allure. On y grimpe par un petit escabeau de bibliothécaire. Et l’on s’y installe dans le même état d’esprit que dans un siège de dentiste : un mélange d’appréhension et de résignation. Deux médecins en blouse blanche vous font enfi ler un harnais de parachutiste dont les crochets vous arriment à une sorte de lit métallique. L’un d’eux s’appelle Arnaud Beck. Il est le directeur de recherche clinique du Medes. Le crâne dégarni, comme tout scientifique qui se respecte, le sourire narquois, il vous demande d’enfi ler vos panards dans des cale-pieds. « Sinon, ça risque de tanguer un peu. » Son adjointe Marie-Pierre Bareille vous sangle les bras. La jeune femme est « project manager », comprenez responsable d’un programme de recherche cofi nancé par le Centre national d’études spatiales (Cnes) ainsi que par les plus grandes agences mondiales (Nasa américaine, RKA russe, entre autres). Allongé sur un fi n matelas de Skaï noir, il vous est vite impossible de bouger, immobilisé par des arceaux de sécurité, renforcés par un double système de crochets d’alpinistes et de manilles. Cinq électrodes sont posées sur votre torse et un bracelet sur votre bras pour la prise de tension. « L’expérience serait-elle donc si physique ? », interrogez-vous, l’air faussement détaché, au moment où l’on finit de vous ligoter. La centrifugeuse est susceptible de monter jusqu’à 20 G, annonce le scientifique sur un ton sobre. La scène vous rappelle brusquement ce passage de Moonraker où James Bond, embarqué dans une même centrifugeuse, réchappe de justesse à une tentative d’assassinat ! (Un acolyte du méchant Hugo Drax avait tenté de le tuer en le soumettant à une accelération de 20 G précisément). La séquence du film a beau s’achever dans les bras de la belle Lois Chiles, vous êtes moyennement rassuré. « 20 G… cela fait quelle vitesse ? », demandez vous néanmoins en dissimulant votre inquiétude derrière une pâle copie du flegme de Roger Moore. Mais le chercheur a déjà disparu dans sa salle de contrôle, non sans avoir fermé une espèce de caisson au-dessus de votre tête, histoire que vous ne puissiez pas voir défiler le paysage. Ce qui serait, pour le moins, fatigant pour les yeux. « Vous vous sentez bien ? » Vous sursautez un peu en entendant la voix du directeur du laboratoire dans vos écouteurs. « Jusque-là, tout va bien », répondez-vous crânement en fixant la petite caméra qui vous surplombe. Sur un écran de contrôle, vos pulsations laissent de drôles de dessins en dents de scie. « 13/8 de tension. 60 pulsations/minute. Tout est OK. On lance la centrifugeuse quand vous voulez. » « Alors, c’est parti. » Une alarme résonne dans la salle et un gyrophare orange se met à clignoter. Les mêmes que sur un engin de chantier ! Un déclic sourd retentit, interrompant la sonnerie, puis la bécane se met en branle. Vous sentez l’air vous caresser les jambes à travers la toile pourtant épaisse de votre pantalon. Vous serrez les poignées au bout desquelles deux petits boutons vous permettraient, le cas échéant, d’interrompre l’expérience d’un simple effleurement des pouces. Sur le petit téléviseur qui vous fait face, vous suivez la lente progression des chiffres sans tout comprendre. 50, 100, 150, 200 tours-minute, indique un curseur. Les chiffres se stabilisent. « Pas de problème ? », interroge le scientifi que. « Non, non… vous pouvez pousser un peu plus. » « Alors, on y va. » Sur l’écran bleu qui vous fait face, vous suivez avec intérêt la montée des G. 0,5… 1 puis 1,5 G. Vous entendez le vent siffler. Un bruit sourd retentit. Comme un effondrement.« Ce n’est rien. Juste un petit bout de polystyrène qui est tombé », explique le chercheur. Un simple bout de polystyrène, ce coup de tonnerre ? Vous vous demandez quel bruit aurait fait un objet un peu plus lourd (une vis ou un écrou par exemple)… A mesure que la vitesse augmente, votre corps glisse insensiblement vers l’extérieur. Vous comprenez mieux qu’on vous ait attaché si fermement. A 2 G, vous sentez les forces centrifuges mieux que jamais. Y compris dans vos organes internes. Vos jambes sont devenues lourdes. Les liquides descendent. Or, le corps est composé de 80 % de liquides. Pour maintenir suffisamment de sang dans la tête, le système cardio-vasculaire s’adapte. Votre tension augmente un peu. Vous le sentez à un léger bourdonnement dans vos tempes. « Pas de vertige ? Ni d’écran noir ? », interroge Marie-Pierre Bareille. Votre orgueil mâle reprend le dessus : « Non, non. On peut continuer. Vous accélérez encore ? » « Désolé mais on va se stabiliser à 2G. L’expérience que nous menons ne nécessite pas que nous montions plus haut », tranche Arnaud Beck. En temps normal l’expérience dure trente minutes. La vôtre va durer dix fois moins. Mais comme l’accélération qui vous a été proposée a été faite avec un palier, les scientifiques vont néanmoins vous proposer un deuxième tour de centrifugeuse. « Avec la même montée en puissance que les spationautes des tests », émet Arnaud Beck dans le casque. Vous serrez les dents. C’est reparti. La poussée est saisissante. Le corps encaisse une sacrée secousse. Avant d’arrêter, on va vous faire une petite blague… « Bougez légèrement la tête », vous dicte l’un des deux médecins, tandis que vous tournez toujours à pleine vitesse. Vous vous exécutez et, aussitôt, une drôle de sensation va s’emparer de vous. Votre champ de vision va connaître les mêmes perturbations qu’une télévision déréglée. Les formes se mettent à onduler comme si vous étiez pris de vertige. « Vous ressentez quelque chose d’étrange ? » Inutile de nier. Le chercheur a vu vos traits changer. « Dans ces moments de grande vitesse, les mouvements de la boîte crânienne perturbent presque automatiquement le système vestibulaire. L’oreille interne se dérègle. Or, c’est elle qui aide le reste du corps à trouver son équilibre », énonce doctement Marie-Pierre Bareille. A 2 G, un simple hochement de tête suffit à vous désarçonner. Mais vous avez eu de la chance : vous échapperez au malaise.

 

À quoi ça sert ?

La centrifugeuse constitue un outil très précieux pour la recherche spatiale. Y sont, en effet, menées plusieurs expérimentations susceptibles d’améliorer les conditions de voyage intersidéral. Contre toute attente, ces tests ne visent pas à déterminer les seuils de résistance des astronautes aux accélérations résultant des phases de décollage ou de rentrée dans l’atmosphère. « Les seuls à mener encore ce genre de tests sont les Russes », indique Julien Watelet, du Centre national d’études spatiales (Cnes). « A dire vrai, ces tests d’exposition aux G ne se justifient que pour les pilotes d’essai et non pour les spationautes car les accélérations auxquelles sont soumis les passagers de Soyouz sont bien inférieures à celles qu’expérimentent les pilotes d’avions de chasse », complète Arnaud Beck, directeur de recherche clinique au Medes. La centrifugeuse a une toute autre finalité. Elle aide à imaginer des moyens de contrecarrer les effets néfastes de l’apesanteur sur l’organisme humain.

 

Les conséquences physiques

« Lors d’un voyage de longue durée dans l’espace, un à deux litres de sang remontent dans la partie haute du corps, ce qui contribue à perturber le système cardio-vasculaire des équipages », explique Marie-Pierre Bareille. Le coeur bat moins vite. La tension baisse. Le reste des muscles moins sollicités ont, eux aussi, tendance à s’atrophier. La structure osseuse change également. A long terme, cela peut se traduire par un début d’ostéoporose. « Notre objectif est de trouver des techniques permettant de contrebalancer ces effets de l’apesanteur pour qu’un long voyage puisse être envisageable sans danger pour la santé », émet Arnaud Beck. Une demi-heure de centrifugeuse par jour permettrait de faire redescendre les liquides dans l’organisme des personnels embarqués et de lutter ainsi contre les effets secondaires créés par l’apesanteur. Ne reste plus qu’à trouver le moyen de miniaturiser ;l’équipement pour le faire entrer dans une fusée. Et, surtout, de s’assurer que la rotation de la centrifugeuse n’entraînera pas de mouvement dans le sens inverse pour la station orbitale. Dans l’espace, une simple perceuse peut en effet faire pivoter un satellite de plusieurs tonnes !