Stupeur : « L’Optimum » apparaît dans « La Conquête », sous un jour nettement défavorable. Comment réparer l’offense ?

 

Le journaliste, espèce menacée, au quotidien bombardé par les impératifs incessants – bouclage, reportage, interview, écriture, réunion(s), formation à html et spip, pour préparer sa reconversion –, est sensible à la critique. Parfois vaniteux, sans doute, souvent ombrageux, incontestablement. Il n’aime pas s’entendre dire qu’il fait un journal de merde, y compris de la bouche du président de la République. Reprenons : en octobre 2007, la campagne s’emballe, et L’Optimum dépêche un journaliste, Yves Derai, et un photographe, Jérôme Bonnet, pour rencontrer l’équipe rapprochée de Nicolas Sarkozy : Louvrier, Martinon, Guéant, Solly, Lefebvre, Dati, Teullé, Mignon sont là (aujourd’hui ce portrait évoque une photo de classe sépia où l’on compte disparus et rescapés). Yves Derai, pour les désigner, trouve une formule qui fera date : les « Sarkoboys »*. Dans La Conquête, minutieuse quoique bancale lecture de ces mois où le candidat porte son projet jusqu’à la consécration finale, cette scène est reconstituée. Les cowboys du sarkozysme s’amusent, prennent la pose, quand surgit leur chef, visiblement colère, qui leur demande s’ils n’ont pas mieux à foutre que de jouer aux beaux gosses pour « un journal de merde », le jetant à terre. Le dit « journal de merde », c’est celui que vous tenez entre les mains (prière de ne pas lui réserver pareil sort). S’il est vaguement plaisant d’être ainsi aspiré par le cinéma, d’être, même brièvement, un enjeu, et derevendiquer ainsi, oh modestement, un peu de postérité (l’on imagine sans peine l’injection d’orgueil pur qu’a dû être pour Bob Woodward, l’un des deux journalistes ayant révélé le scandale du Watergate, de se savoir interprété par Robert Redford, héros de l’excellent Les Hommes du Président, d’Alan J. Pakula), nous sommes un peu chagrin – et perplexes. Nous voilà bien : aux yeux des spectateurs, notre réputation est défaite. Quinze ans de sueur pour être atomisé en une séquence. Quinze ans de jus de cervelle jetés dans l’évier. Trois quinquennats biffés d’une main nonchalante. Faut-il attaquer en diffamation ? Réclamer un droit de réponse ? Espérer que Xavier Durringer s’attelle à La Conquête 2, et gagner les faveurs de l’Elysée d’ici-là ? Imaginons : rythmant le récit, une scène revient : Nicolas est au bureau, dans son avion, dans le train, dans son bain, et nous lit, mois après mois. Il ne perd pas une occasion de vanter nos mérites, de s’enthousiasmer pour nos scoops valeureusement décrochés, demande à Brice de lui offrir un abonnement pour Noël, assaille la rédaction pour obtenir un rendez-vous, nous inviter à déjeuner au Bristol. Rien n’y fera : vexés, nous avons donné à la standardiste pour instruction d’être inflexible, de ne pas céder. Non, Monsieur le Président, ils sont en rendez- vous, ils testent une Formule 1 à Barcelone, ils font de la voile à Saint-Barth, ils sont en reportage à Prague, ils cherchent les meilleurs hamburgers du monde, ils font la course avec Usain Bolt, oui, j’ai bien transmis vos messages, je suis désolée, Monsieur le Président. Dans un dénouement déchirant, au seuil de sa réélection, lors du débat d’entre deux-tours, il imploreraitnotre pardon. En vain. Voyez-vous, en journalisme comme en amour, l’orgueil froissé ne se repasse pas.

* Octobre 2005, N°79.