Le seul casino de Paris se dissimule dans les sous-sols du ministère de l’Intérieur. Un véritable cercle de jeu, tout droit sorti d’un polar américain, où « L’Optimum » a fait une descente !

Une entrée discrète, dissimulée dans une cage d’escalier, une volée de marches qui fleurent bon l’humidité, deux portes en bois qui débouchent sur une salle voûtée où trônent trois tables de jeu et deux machines à sous. Les sous-sols du ministère de l’Intérieur réservent parfois bien des surprises ! N’allez pas croire pour autant que les caves de la rue des Saussaies (à deux pas de la place Beauvau dans le VIIIe arrondissement de Paris) dissimulent un cercle de jeux clandestin. Bien que le décor fasse illusion, l’endroit n’est pas un vulgaire « tripot ». C’est au contraire la salle de formation du service central des jeux et des courses dirigé depuis 2007 par le commissaire divisionnaire Jean-Pierre Alezra. L’acajou rutilant des roulettes, les jetons brillants sur le tapis vert, les cartes étalées ici et là, et même la petite musique en sourdine des bandits manchots… Tout a été reconstitué pour permettre aux 140 policiers de son équipe (dont 20 femmes) de se former à leur métier : le contrôle des 194 casinos et 5 cercles de jeux actuellement en activité à travers le pays. Se former ? C’est-à-dire apprendre à tricher ! Connaître les techniques des joueurs indélicats mais aussi des croupiers ripoux… « L’imagination des hommes est, dans ce domaine, sans limite », sourit Jean-Pierre Alezra, 61 ans, un ancien de l’antiterrorisme qui a effectué l’essentiel de sa carrière à la direction centrale des renseignements généraux. Ses derniers coups de filet en attestent. « Nous venons de mettre la main sur un groupe d’Italiens qui sévissait sur la Côte d’Azur grâce à un dispositif de lunettes déchiffrant des codes marqués sur le dos des cartes », confie-t-il. Les tricheurs au poker ont été démasqués par son équipe, en septembre. Il y a quelques années, ils auraient été enduits de goudron et de plume. Ils risquent aujourd’hui jusqu’à neuf années de prison et 200 000 euros d’amende. Auparavant, les enquêteurs d’Alezra avaient arrêté d’autres escrocs qui stoppaient les billes des roulettes, remplies de limaille de fer, grâce à des aimants surpuissants fixés autour de la ceinture et des cuisses. « Ces deux affaires supposaient des relais au sein des établissements. Nous sommes en passe de les identifier », glisse le commissaire en se débarrassant de son imper à la Columbo. Le tableau de chasse de son service a de quoi impressionner. Il y a quelques mois, il défaisait ainsi un gang d’Europe de l’Est qui ratissait systématiquement les tables de poker hexagonales grâce à des caméras miniaturisées permettant de voir le jeu des autres joueurs. « De longues heures de planque avant de parvenir à prendre ces voyous la main dans le sac », soupire le fonctionnaire dont une partie de l’équipe intervient incognito dans tous les casinos de France. Pour obtenir de tels résultats, les policiers de ce service « spécial » (« l’un des seuls à compétence nationale ») doivent apprendre de manière très approfondie les méthodes de travail des escrocs qui leur font face. C’est la raison pour laquelle, ils effectuent non seulement des stages de « mise à niveau » dans les locaux ultra-sécurisés dont ils disposent à Nanterre (Hauts-de-Seine) mais aussi rue des Saussaies dans ce vrai-faux casino. La formation des fonctionnaires passe alors par une visite du « musée » : une pièce attenante au « tripot » où sont stockés depuis plusieurs décennies de faux distributeurs de confi series (« en réalité des machines à sous ») et des jeux vidéo, là encore détournés de leur vocation initiale. « Nous conservons ces scellés pour en décrire le fonctionnement à nos équipes », poursuit Jean- Pierre Alezra. Les cours dispensés aux policiers englobent aussi des exercices pratiques dispensés par Jean-Jacques Le Mer, 55 ans dont plus de vingt années de police. Histoire de maîtriser les « trucs » des escrocs ! Qu’il s’agisse de « l’empalmage » : une manipulation consistant à poser un jeton sur le tapis en en subtilisant un autre de plus grande valeur. Ou de la « poussette » où, comme son nom l’indique, un discret coup de pouce permet d’atteindre la case gagnante. « La dextérité des délinquants est impressionnante. Certains ont même suivi une formation dans une école de triche implantée à côté de Berlin », expose Jean-Pierre Alezra qui a intégré, de son côté, un prestidigiditateur, pour capter les mouvements des grands « professionnels». Tous les tricheurs ne sont cependant pas très subtils. « Je me rappelle d’un gang de Russes qui déclenchait le jackpot des bandits manchots en soulevant les machines pour actionner la trémie. C’étaient de gros costauds », sourit le commissaire, hier chargé de la surveillance des cellules dormantes des Brigades rouges ou des groupuscules corses. Depuis lors, toutes les machines de France sont fixées au sol. Les fonctionnaires du service des jeux et des courses ont, depuis plusieurs années, en ligne de mire les cercles de jeu parisiens. Offi ciellement gérés par des associations loi de 1901 à but non lucratif (ce qui ne les empêche pas de déclarer entre 650 000 et 2,5 millions d’euros de produit brut), ces établissements s’affranchissent parfois de la réglementation très stricte qui leur est applicable. « J’ai eu à faire fermer plusieurs salles où des jeux étaient même organisés de manière clandestine », confi e le commissaire divisionnaire qui ne s’émeut pas outre mesure des menaces à peine voilées que certains tenanciers de ces clubs lui ont fait passer. Ses enquêteurs ont, de fait, contraint récemment à la fermeture trois établissements peu regardants. La salle Wagram qui, depuis l’été, défraye la chronique car elle compte en son sein plusieurs « parrains » corses. Mais aussi l’Eldo (place de la République) et la salle Haussmann (à deux pas de l’Opéra). Le service des jeux et des courses tient aussi à l’oeil les petits clubs du troisième âge qui cèdent parfois à la « folie » du poker. Il y a cinq ans, plusieurs clubs de bridge se sont ainsi fait taper sur les doigts pour s’être transformés, le temps d’une soirée, en petits « saloons ». Mais parallèlement à cela, les policiers de Nanterre s’intéressent aussi aux courses hippiques. « Un tout autre monde », commente le commissaire, qui s’évertue à traquer les commissaires de course véreux, les chevaux dopés et les tiercés truqués (« certains jockeys retiennent parfois leur monture de manière suspecte »). Son service s’intéresse également, depuis plusieurs années, aux sites de jeux d’argent online. Un domaine dans lequel la police enregistre près d’une vingtaine de plaintes par mois. « Depuis l’adoption de la loi du 12 mai 2010 et la création de l’autorité de régulation des jeux en ligne (ARJEL), nous avons pu réduire dans une grande mesure les problèmes des sites illégaux », se félicite le commissaire. Reste qu’aucune suite judiciaire n’est encore intervenue dans ce domaine. Car les serveurs des sites incriminés sont souvent situés à l’étranger où les magistrats français ne sont pas habilités à intervenir. Aucun mandat d’arrêt international n’a encore été délivré. Un nouveau champ d’investigation s’ouvre aux limiers du service du commissaire Alezra…

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