Goût du jour Le 26/11/2015 par La rédaction

5 néo-chais bordelais qui valent le détour

Chez les nouveaux seigneurs des grands crus bordelais, rien n’est trop beau pour embellir leurs châteaux. Gros plan sur leurs néo-chais. A voir sans modération.

Par Benoist Simmat

 

C’est le secret le mieux gardé de cette période de vendange 2014 : quelle est le nom de la jeune et talentueuse architecte new-yorkaise chargée du projet de rénovation de Haut Brion, projet qui s’est vu retoqué par son Excellence le Prince Robert de Luxembourg en personne, propriétaire du premier cru classé ? Et qui va donc devoir revoir sa copie.

Mystère. La question n’est pas anodine dans le très sélect monde des « premiers crus » et autres « superseconds ». Haut-Brion a prévu de marquer les esprits en 2016 avec une signature architecturales (forcément) novatrice. L’an prochain, en 2015, c’est la superstar Philippe Starck qui a été priée de « signer » un chai totalement décalé à Les Carmes Haut-Brion, au profit de son propriétaire le magnat de l’immobilier Patrice Pichet.

Cette année, c’est le voisin de Cheval-Blanc, La Dominique (propriété de la famille Fayat), qui a décidé de rivaliser avec les plus grands en inaugurant un étrange paquebot fendant une mer de vigne imaginé par une autre star mondiale, Jean  Nouvel. La liste est longue de ces architectes souvent auréolé du prix Pritzker, leur Nobel à eux. Et plus qu’impressionnante pour les amateurs du genre : Alberto Pinto à Pavie, Bernard Mazières à Montrose, Christian de Portzamparc à Cheval-Blanc, Jean-Michel Wilmotte à Cos d’Estournel, Norman Foster à château Margaux, etc.

Une mode ? Plutôt le dernier stade de la transformation des plus grands crus en marque de luxe. Et qui dit marque dit écrin. Jusqu’à son récent décès, la baronne philippine de Rothschild ne cessait d’embellir le sien, le célèbre château Mouton-Rothschild, dont la dernière transformation ne remonte qu’à mi-2013. « Un projet architectural est dorénavant crucial pour la stratégie des très grands crus », admet Bernard Mazières, le Bordelais de la bande, qui a travaillé sur Mouton, mais aussi Yquem, Pétrus, Latour, etc.

Crucial peut-être, sauf que pour une fois la puissante nouvelle aristocratie de Bordeaux suit un mouvement né… dans le Nouveau Monde, et notamment en Californie, pays des « wineries » les plus délirantes. Visite guidée des derniers néo-chais bordelais.


Château Cos d’Estournel, le chai de la démesure

Chais-3

Voilà une « oeuvre » au sein de laquelle nombre de directeurs des grands crus aimeraient à officier. Cos d’Estournel, un mythe à Saint-Estèphe, fit déjà l’objet de travaux somptueux … au XIXe siècle, quand furent édifiées à l’époque ses fameuses « pagodes ». A la fin des années 2000, son richissime propriétaire, Michel Reybier, fortune de l’agroalimentaire français (souvenez-vous du fameux saucisson Cochonou!), décide de frapper un grand coup: près de 40 millions d’euros consacrés à ériger sous terre un invraisemblable complexe de vinification que le monde entier vient aujourd’hui visiter. Pensé par le ténébreux Jean-Michel Wilmotte autour des trois « matières » du vin – l’ions, le bois, le verre – cette cathédrale troglodyte allie puissance d’évocation et capacité à vinifier dans des conditions qui ont valu au cru de devenir l’égal d’un premier cru. Record à battre.

 

Les chiffres qui tuent :

40 millions d’€: le coût du projet 

72 le parc de cuves en inox

250€ le prix moyen d’une cuvée 2010


 

Château Montrose, le chai écolo

Chais-2

De l’autre côté de la Garonne, en Médoc, les frères Bouygues étaient également entré en compétition. Laurent et Martin Bouygues avaient deux rêves : posséder le vin préféré de leur père Francis, et créer la plus grand outil de production viticole du Médoc. C’est fait. Montrose, racheté à grand frais en 2006 (140 millions d’€ à l’époque, sans compter les extensions foncières), est maintenant transformé en une véritable « cathédrale » de vinification qui a fait son petit effet dans le milieu. Avec, surprise, une « vision authentiquement écologique » (!), puisque le bilan carbone du site s’est effondré et que le domaine fonctionne en partie en autonomie grâce à la géothermie (chaleur du sous-sol). Avec 3.000 m2 de panneaux photovoltaïques, Martin Bouygues pourrait quasiment être nommé au gouvernement par Manuel Valls. Certes, chez les gens du bâtiment, on ne peut s’empêcher de faire dans le bling-bling et les onze mètres de hauteur sous plafond sont un cas unique en Bordelais. Francis Bouygues ne s’en retournerait pas dans sa tombe, il en lèverait son verre !

Les chiffres qui tuent :

20 millions d’€ : le coût du projet 

Jusqu’à 240.000 bouteilles produites annuellement

1.000 m2 de chai avec 800 barriques


Château Angélus, le chai sonore

Alors que la campagne primeur 2014 (du millésime 2013, en avril dernier) s’annonçait morose, Hubert de Boüard, copropriétaire d’Angélus, nouveau membre de l’élite des « classés A » (Cheval-Blanc et Ausone), a fait résonner les cloches de son succès. Deux années de travaux lui ont permis de rénover de fond en comble cet excellent Saint-Emilion devenu ultra-spéculatif. A l’occasion de l’inauguration, le vigneron a même réussit à faire bénir son nouveau campanile et ses cloches par… Monseigneur Ricard ! Et pas besoin de bedeau : les hymnes nationaux d’une vingtaine de pays sont préprogrammés dans cette installation qu’il suffit de réveiller par télécommande ou téléphone afin d’assoir tout visiteur venu des marchés internationaux. Réalisée par une équipe de compagnons ayant œuvré au Parlement de Bretagne, la charpente du chai est ornée de magnifique représentations des « saisons de la vigne ». Classieux mais un brin conservateur.

 

Les chiffres qui tuent :

9 millions d’€ de budget

300 € le prix moyen d’une bouteille d’Angélus 2010

18 cloches pour le carillon (et une cloche de sol de 700 kilos)


Château Pavie, le chai hacienda

L’année précédente avait déjà été riches en émotions. Gérard Perse, avec Pavie, avait fait l’actualité des « chais d’œuvre ». Perse, un acharné venu de la grande distribution, l’homme qui a fait de Pavie un égal d’Ausone ou de Cheval-Blanc, un « premier grand cru classé A » (comme Angélus). Derrière la voix fluette, une volonté de fer : célébrer l’événement en érigeant sur la face sud de Saint-Emilion une hacienda démesurée pour ouvrir au monde ce cru vénéré jusqu’au fin fond de la Corée. Dans son bureau à forte hauteur sous plafond, Perse empile les livres d’art signés Alberto Pinto, le cabinet parisien à qui il a confié la tâche d’élever néo-Pavie. Pierres blonde omniprésente, vision angulaire, intérieur chaud… L’ensemble est démonstratif, mais accessible et ouvert sur le public, notamment français. « Même si les prix s’envolent, je tiens à ma clientèle française », précise le maître de néo-Pavie. Pourvu qu’elle ait encore quelques économies.

Les chiffres qui tuent :

14 millions d’€ de travaux

90.000 bouteilles produites du premier vin

8500 m2 d’espaces de travail


 

Château Palmer, le chai de l’âge de raison

Chais-4

Une vraie vision pour Palmer, voilà ce qui a présidé aux travaux de rénovation les plus discrets du Médoc. Discret comme les familles propriétaires, encore bordelaises pur jus (comme les Mälher-Besse). Thomas Duroux, leur jeune directeur, a tenu à coupler nouveau chai et un superbe jardin à l’anglaise conçu par un artiste gallois (Tim Guest) et un paysagiste bordelais (Michel Armaroli). L’objectif est d’ouvrir au public le château. Les espaces de travail rénovés sont d’un grand classicisme: larges cuves en forme de tronçons du chai de vignification, lignes fuyantes du cuvier, obscurité calculée… Ce n’est pas une oeuvre d’art, mais un lieu où l’art s’exprime. Au printemps dernier, le jazzman Daniel Humair et certains de ses équipiers venaient célébrer en musique, à la tombée de la nuit, le nouvel écrin de Palmer. Ils reviendront.

Les chiffres qui tuent :

8 millions d’€: le coût du projet

550 000: le nombre de pieds de vigne du château Palmer 

3 000€: le prix du mythique Palmer 1961, quand il y en a un à vendre


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