Entertainment Le 01/03/2016 par Felix Besson

Leonardo di Caprio en couverture de l’Optimum de mars

De Saison, par Baptiste Piégay

 

Sans les changements de saison, nous serions perdus. Que dire et porter, sans cette rassurante boussole ? Comme le fleuve débouche sur la mer, ils apportent leur lot invariable, ou presque, de clichés, dont on se fera des festins aux banquets mondains. Déplorer qu’il n’y en a plus (de saison), que la révolution climatique est un enfumage ou pas, que les frimas sont hors sujet, que le gel tardif menace les asperges, que les fraises ont de l’avance (sauf s’il y a des embouteillages entre les serres belges et Rungis).

Franchir le seuil du printemps – un genre de tourni- quet de métro – pour s’embarquer du côté des florai- sons et des allergies, en attendant le wagon direc- tion l’été, compter déjà les jours fériés (et prendre son mal en patience, au regard de leur malheureuse répartition cette année), c’est faire provision de cer- titudes. Les saisons font de nous des personnages de roman, dirigés par les conventions du contexte, comme ceux du dernier roman de Jean Echenoz * : « Tout est en place et chacun joue sa partie. Ils n’ont aucune idée de ce qu’ils font, mais ils font tout comme je l’avais prévu », dit un responsable d’une agence de renseignement. On se plaint de n’être pas assez autonomes, trop contraints par telle ou telle obligation, mais il serait bien doux d’habiter ainsi un film ou un roman, de se contenter de ne pas oublier son placement lumière ou ses répliques, de se laisser porter par le flot onctueux des rumeurs de comptoir. On est ainsi conçus, semble-t-il, que les années de transition entre deux élections font de nous des citoyens comateux, des êtres dont l’indépendance d’esprit est en sommeil. Sans doute faudrait-il instaurer un rituel référendum mensuel, y compris sur des enjeux d’envergure modeste, pour continuer à stimuler nos ressources intellectuelles. Proposons : pour ou contre l’arbitrage vidéo dans le football ? Oui ou non au col châle sur les vestes ? Souhaitez-vous établir un moratoire sur les restaurants n’offrant (façon de parler) que des hamburgers ?

Avant le bouillonnement de 2017, que nous restera- t-il pour nous agiter ? Des primaires ? On les observera comme un western délavé entre protagonistes usés. Un enchaînement Euro-JO, façon double salto périlleux pour l’appétit (en comptant le Tour de France, c’est un peu enchaîner une paella après un couscous suivis de profiteroles) ? Il est trop tôt pour s’en réjouir tout à fait.

C’est la vocation de mars, sans doute, de ménager une transition. Plus vraiment l’hiver, pas encore l’été, il désoriente les vestiaires les mieux conçus, déconcerte les soifs les plus indulgentes. Cachemire ou lin ? Grog brûlant ou blanc frais ? Même l’Histoire hésite entre tradition guerrière romaine (le belliqueux dieu éponyme) et premier chapitre des amours (voir le corpus des poésies britanniques et françaises romantiques). Mars creuse un tunnel entre le printemps et l’été, où l’on plantera sa tente, pour bivouaquer en toute quiétude. Une fois éteint le dernier dimanche du mois, l’heure d’hiver enterrée, il sera toujours temps de se réveiller.

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