Entertainment Le 19/11/2015 par La rédaction

Enquête : gloire et déboires du charity business

On aimerait ne pas sortir sa panoplie de cynique, s’émouvoir devant la générosité des stars… Tremblements de terre, maladies rares, attentats : à chaque catastrophe son événement caritatif et ses têtes de gondole. Mais entre altruisme et business calibré, la frontière est parfois floue.

Par Laurent-David Samama

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1954, nouveau programme sur la chaîne ABC. Confortablement installés devant leurs postes, les télé-spectateurs américains assistent en direct et durant vingt-deux heures à un curieux marathon cathodique. Face caméra, l’acteur Bob Hope, épaulé par plusieurs présentateurs endimanchés qui se succèdent, présente un énorme show mêlant collecte de dons et grand divertissement. C’est le premier Téléthon, contraction des termes télévision et marathon. Une création qui permettra bientôt de collecter des fonds considérables et qui s’exportera dans le monde entier. Il faudra attendre plusieurs décennies avant que l’Hexagone n’adopte la formule.

Selon l’historien Thomas Snégaroff, de peur que la pratique ne cadre pas avec les traditions françaises en matière de charité, la chaîne Antenne 2 aurait d’abord refusé d’importer le concept au début des années 1980. Sept années plus tard, en 1987, Michel Drucker, Gérard Holtz, Claude Sérillon et Jacques Chancel prennent l’antenne pour présenter, en partenariat avec l’Association française contre la myopathie (AFM), le premier Téléthon diffusé à la télévision française. Un succès d’audience et de générosité, puisque les promesses de dons lors de cette première édition s’élèveront à plus de 181 millions de francs. Pourtant, le programme ne va pas tarder à être la cible des critiques.

A l’instar de Pierre Bergé, président du Sidaction, accusant le Téléthon de « parasiter la générosité des Français ». Il est vrai qu’en se professionnalisant, le business de la charité a pris une ampleur considérable et aiguisé les appétits… Selon le dernier rapport de l’association Recherches & Solidarités sur la générosité des Français, les organisations caritatives ont engrangé plus de 4 milliards d’euros de dons en 2013. Mieux, depuis dix ans, les sommes versées augmenteraient chaque année de 2 à 5 %. Afin d’inciter le grand public à donner toujours davantage, les associations utilisent désormais couramment le glamour et les paillettes pour la bonne cause : on appelle cela le charity business. Une pratique qui a connu ses heures de gloire, mais également quelques scandales…

Du rock pour le meilleur ou pour le pire

Dans la foulée du Festival de Woodstock, en 1969, le milieu de la musique se met à croire en son potentiel politique et organise une série de grands shows caritatifs. Première tentative : 1971. Aiguillé par son ami Ravi Shankar, l’ex-Beatle George Harrison se mobilise alors que le Bangladesh est dévasté par un cyclone puis déchiré par de terribles violences interethniques. Sur la scène du Madison Square Garden, Harrison réussit un tour de force et rassemble Bob Dylan, Eric Clapton, Ringo Starr et Billy Preston pour un concert devenu mythique, le premier concert de bienfaisance de l’histoire du rock.

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Au cours de la décennie 1980, les initiatives de ce type vont se multiplier et prendre une ampleur considérable. L’épisode Band Aid/Live Aid va constituer un tournant en la matière. En 1984, alors que la famine touche sévèrement l’Ethiopie, Bob Geldof, leader du groupe The Boomtown Rats, forme dans l’urgence un supergroupe composé des stars du moment et le baptise Band Aid. L’idée ? Sortir un single afin de réunir rapidement des fonds à envoyer aux nécessiteux. De Phil Collins à Sting, on se presse pour chanter le larmoyant « Do they Know it’s Christmas? ». Outre-Manche, la chanson bat tous les records de vente et permet de récolter 8 millions de livres sterling de l’époque. Suite à ce succès, l’Irlandais à la mèche folle voit grand. Au cours de l’été 1985, il organise le Live Aid, deux concerts dans la même journée, l’un à Londres (Wembley), l’autre à Philadelphie. Diffusé en mondovision, l’événement attire 1,5 milliard de téléspectateurs !

Ancien rédacteur en chef du magazine Rolling Stone, Belkacem Bahlouli raconte : « L’impact du Live Aid a été plus que considérable. Pour la première fois depuis le concert d’Elvis à Hawaï, le monde entier était vissé devant sa télé. Pour la première fois, grâce au rock, le monde s’est transformé, le temps d’une journée, en un seul grand village. Le rock est alors devenu une musique globale, pour le meilleur ou pour le pire, et s’est imposé comme la plus grande force capable de secouer l’indifférence générale de la population en mobilisant autour d’une cause humanitaire. »

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Des egos boursouflés

Pourtant, la répétition de ce genre d’événements ne va pas tarder à lasser le public… Pire, derrière l’engagement en faveur d’une noble cause, on accuse certains artistes de profiter des situations de détresse pour gonfler leurs egos boursouflés. Des critiques dont Madonna a fait les frais. Suite à l’adoption de deux orphelins au Malawi, la pop star avait promis divers dons et une implication de tous les instants en faveur du petit pays d’Afrique australe. Plusieurs années après, les résultats concrets de la générosité de la Madone se font attendre, tandis que la mise en scène de ses voyages exaspère…

Une attitude dénoncée jusqu’au plus haut niveau de l’Etat du Malawi, par la voix de son ancienne présidente, Joyce Banda : « La générosité est gratuite et anonyme. Si ce n’est ni gratuit ni discret, alors ce n’est pas de la générosité. C’est autre chose. Cela devient du chantage ! » Dévastateurs en termes de communication, les exemples de ce type ne manquent pas. L’engagement caritatif est-il vraiment désintéressé ? Qui sert-il le plus in fine, la star ou la cause qu’elle défend ? Dans Le Monde, l’économiste Pierre-Antoine Delhommais rapporte les terribles conséquences de l’engagement de Sharon Stone en faveur de la lutte contre le paludisme en Afrique. La scène se déroule en 2005, au cours du Forum de Davos.

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Emue aux larmes par le discours du président tanzanien décrivant les ravages de la malaria dans son pays, l’actrice s’était levée et avait offert 10 000 dollars pour l’achat de moustiquaires. « Elle avait exhorté le reste de l’assistance à l’imiter. En quelques minutes, 1 million de dollars avait été collecté auprès de patrons de multinationales et de banquiers […] Embrassades, remerciements, larmes, une vraie cérémonie de remise des Oscars à Hollywood. La suite est moins connue, moins reluisante aussi. La distribution gratuite de 300 000 moustiquaires a gravement perturbé le travail des organisations humanitaires présentes sur place, causé des dégâts collatéraux (marché noir, gaspillage, reconversion en filets de pêche), déclenché colère et incompréhension dans les régions voisines qui n’ont pas bénéficié de la mesure. Enfin, elle a provoqué la ruine des fabricants locaux de moustiquaires et détruit des centaines d’emplois. » L’émotion est parfois mauvaise conseillère.

Des « agents de générosité »

La mésaventure de Madonna au Malawi a marqué le show business. Pour redorer le blason de l’action caritative, les stars hollywoodiennes et les associations qu’elles représentent ont fréquemment recours à des agents d’un nouveau genre. Ils conseillent les stars sur leurs engagements philanthropiques. De Brad Pitt à Shakira, en passant par Eva Longoria, de nombreuses célébrités sont aujourd’hui représentées et conseillées par le Global Philanthropy Group (GPG), un cabinet fondé par Trevor Neilson, spin doctor évoluant dans l’ombre des plus grands philanthropes du moment, de Bill Gates à Bono. Sa mission : vérifier le sérieux d’un engagement caritatif, évaluer la faisabilité d’un projet, offrir des clés de communication pour éviter qu’une intention louable ne se retourne contre son auteur…


Le Charity Business en chiffres:

25 M$ récoltés en une soirée, en 2014,  par Leonardo DiCaprio pour préserver la biodiversité

600 Mds $ : les dons promis par 40 milliardaires américains via The Giving Pledge

5 Mds $ reçus après le séisme en Haïti en janvier 2010


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