Entertainment Le 16/11/2015 par La rédaction

Enquête : les mannequins homme, ces mâles aimés de la mode

Cachets ridicules en comparaison de ceux octroyés aux femmes, condamnation à l’anonymat et rares opportunités de carrière prestigieuse… la vie des mannequins hommes est trop injuste ! Enquête. 

Par Hélène Brunet-Rivaillon 

 

« Etre professionnellement beau est un métier qui n’est ni facile ni lucratif pour un homme. » Si cette réplique tirée de la comédie déjantée Zoolander (2001), de (et avec) Ben Stiller, provoque l’hilarité des spectateurs, elle reflète pourtant une triste réalité. « Dans mes entretiens avec les professionnels, il y a beaucoup de souffrance chez les mannequins hommes, qui sont souvent très peu considérés. Beaucoup quittent la profession à cause de cela », constate le sociologue de la mode Frédéric Godart. Souvent privés de l’immense popularité qui semble réservée aux mannequins femmes, les hommes sont aussi nettement moins bien rémunérés que ces dernières. Comment expliquer cette double peine sur les podiums et sous les projecteurs ?

Où sont les hommes ? Qui ont des rires pleins de larmes

Un quart des quelques milliers de mannequins professionnels dans le monde seraient de sexe masculin. Pourtant, si vous êtes capable de citer spontanément Gisele Bündchen, Kate Moss ou Natalia Vodianova, combien de mâles du métier pouvez-vous évoquer sans réfléchir ? Aucun, évidemment. Mais rassurez-vous, si admettre en public que vous ignorez l’existence de Cara Delevingne serait au moins aussi humiliant que d’avouer que vous n’avez pas été informé de la première virée d’Orion, sécher sur l’identité des it boys trônant sur des panneaux 4 x 3 n’a rien de honteux. Car, comme l’explique Géraldine Nicourt, chef du département Homme de l’agence Elite Paris : « Ils sont moins visibles, moins médiatisés que les mannequins femmes. »

De là, une probable frustration. Laquelle est d’ailleurs peut-être à l’origine des tripotées de mannequins musclés qui échouent dans les programmes de télé-réalité en espérant que le petit écran leur offrira une seconde chance. Thomas Vergara (aka monsieur Nabilla) n’a-t-il pas tenté de percer dans le mannequinat avant d’accéder brutalement à la notoriété après une fameuse partie de Cluedo-reality ? Revenons à votre culture mode. Comment ? Vous venez d’avoir une illumination ? Mais si, bien sûr, vous connaissez un mannequin masculin ! Ah… oui… mais non. Gaspard Ulliel, ça ne compte pas. D’accord, il a été le visage du parfum Bleu de Chanel dans un spot signé Martin Scorsese et il a posé avec Kate Moss pour Longchamp. Mais il est acteur, pas mannequin : il a tourné pour Jean-Pierre Jeunet, Gus Van Sant ou Bertrand Tavernier. Et dans le film de Bertrand Bonello, il incarne le couturier Yves Saint Laurent, pas un mannequin. Rendez-vous à l’évidence : vous ne connaissez aucun mannequin masculin.

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Les belles gueules des 90s

Pourtant, au siècle dernier, quelques beaux gosses sont parvenus à marquer l’histoire de la mode. Et des Etats-Unis. Car le premier mannequin à être devenu célèbre n’est autre que l’Américain Gerald Ford, qui a mené une carrière de modèle dans les années 1920, avant de devenir le président des USA. L’histoire ne dit pas si sa photo en couverture du magazine Cosmopolitan est conservée par le service des archives de la Maison Blanche… Il faudra pourtant attendre les 90s pour que le mannequinat masculin connaisse ses heures de gloire. Si les noms d’Alain Gossuin, Larry Scott et Satya Oblette ne vous disent rien, googlisez-les et, c’est certain, vous aurez l’impression de les avoir déjà vus quelque part. Le dernier est encore régulièrement invité à s’exprimer dans des émissions de télévision ou dans les pages des magazines.

En revanche, à l’exception de Baptiste Giabiconi, qui doit plus sa notoriété au flop monumental de son album sorti en 2012 qu’à ses défilés pour Chanel, Fendi et Giorgio Armani, les mannequins hommes d’aujourd’hui sont d’illustres inconnus pour le grand public. Antoine Duhayot, directeur du booking homme de l’agence Rockmen et directeur de casting pour Yohji Yamamoto remarque qu’« avant, les gens étaient capables de reconnaître certains mannequins comme Alain Gossuin ou Werner Schreyer dans la rue. Mais, depuis quelques années, on constate une diminution de la starisation des mannequins hommes. » En effet, seuls quelques happy few savent que les nouvelles têtes d’affiche se nomment Jon Kortajarena, Jason Lewis ou Simon Nessman.

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Moins riches…

Fin 2013, la publication par le magazine américain Forbes du classement des mannequins hommes les mieux payés au monde en 2012-2013 avait suscité l’étonnement. On y découvrait que Sean O’Pry, le plus bankable de la planète, avait gagné près de trente fois moins que Gisele Bündchen, la number one chez les femmes. A côté des 42 millions de dollars empochés par la Brésilienne, le million et demi perçu par le jeune Américain semblait un pourboire ridicule. « Le mannequinat est l’un des rares métiers où les hommes gagnent moins bien leur vie que les femmes », commente Géraldine Nicourt. En 2011, le mannequin anglais David Gandy déplorait cette situation dans une interview accordée au Sunday Times Style : « Dans la hiérarchie d’un shooting, il y a le photographe, le mannequin femme, les stylistes, les assistants et, enfin, le mannequin homme. C’est le tout dernier. »

Frédéric Godart fait les comptes : « Pour un catalogue, une femme pourra être payée jusqu’à 10 000 dollars par jour, un homme autour de 2 500 dollars (pour le sommet de la pyramide). Pour un défilé, la différence peut être encore plus grande. » Un rapport exceptionnel que le sociologue explique par les différences de nature des prestations selon les sexes : « Les mannequins femmes ont un travail plus éprouvant que celui des hommes ; de l’aveu même de ces derniers, la préparation et la pression sur le corps des femmes est supérieure. » Xavier Buestel, mannequin à l’agence Rockmen, estime quant à lui que « les écarts entre les rémunérations des mannequins hommes et femmes s’expliquent par la différence de taille des marchés. Le marché de la femme est bien plus important que celui de l’homme. Même si les débouchés pour l’homme augmentent, ils n’atteindront jamais ceux de la femme. »

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… mais actifs plus longtemps

Cependant, si les garçons sont payés des cacahuètes au regard des fortunes attribuées aux filles, ils ont l’avantage de pouvoir travailler pendant bien plus longtemps. « Les mannequins hommes débutent leur carrière vers 17 ans, précise Géraldine Nicourt. Ensuite, elle peut perdurer jusqu’à plus de 40 ans. Contrairement aux femmes, qui ont généralement des carrières éphémères (hormis les grands top models), les hommes peuvent avoir des parcours beaucoup plus pérennes. » D’ailleurs, si les femmes sont souvent contraintes d’abandonner leurs études pour pouvoir offrir leur jeunesse à des campagnes de publicité, les hommes n’ont, quant à eux, aucune raison de se précipiter. « Certaines études placent l’âge moyen des mannequins femmes autour de 25 ans, mais, en réalité, de nombreuses mannequins commencent très jeunes : plus de la moitié entre 13 et 16 ans, note Frédéric Godart. Les hommes ont un âge moyen beaucoup plus avancé, plutôt vers 30 ans. Et ils commencent pour la plupart après 18 ans, autour de 20-25 ans. »

Même son de cloche chez Rockmen : « Les mannequins hommes sont globalement plus âgés que les mannequins femmes (…) Leurs carrières sont aussi plus longues que celles des femmes », confirme Antoine Duhayot. Si le fossé phénoménal entre les rémunérations des deux sexes est vécu comme une grande injustice par beaucoup de modèles hommes, les récentes évolutions du marché du luxe for men devraient les rassurer. Depuis 2009, le secteur connaît une croissance de près de 15 % par an. Et si, sur les podiums, l’homme était l’avenir de la femme ?

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