Entertainment Le 13/10/2015 par La rédaction

Le B.A.-BA du business angel

Etre un ange n’est pas une activité de tout repos. C’est un vrai métier ! Les pros de l’investissement nous expliquent la marche à suivre pour décrocher son auréole rapidement… et, à condition d’être patient, faire fructifier ses gains. 

Par Hélène Brunet-Rivaillon 

 

Du contribuable assujetti à l’ISF qui profite de la loi Tepa pour faire d’une pierre deux coups – aider un jeune boss à financer la création de sa boîte et bénéficier d’une déduction fiscale – à l’ancien financier d’un fonds d’investissement qui place ses billes dans une société qui débute, en passant par l’ami qui se vante d’avoir cassé sa tirelire pour booster un projet sur un site de crowdfunding, les business angels autoproclamés sont nombreux ! Pourtant, pour qu’un particulier qui injecte ses deniers personnels dans une aventure entrepreneuriale à laquelle il croit entre dans la catégorie business angel, il doit s’impliquer plus que ça. Pour y voir un peu plus clair, nous avons interrogé de vrais business angels. 

JACQUES-ANTOINE GRANJON – PDG et fondateur de vente-privee.com

J.A.Granjon

La fonction de business angel doit regrouper l’aspect « business » et l’aspect « ange ». L’aspect ange, c’est « l’impôt social ». J’ai eu la chance que mon père me donne un coup de pouce quand j’ai créé ma boîte à 22 ans, en mettant à ma disposition le montant dont j’avais besoin pour le capital. Je trouve normal d’aider, à mon tour, des jeunes qui démarrent leur aventure. Le business angel participe au retour dans l’économie de l’argent qu’il a gagné. A l’origine, il n’a pas spécialement pour objectif de s’enrichir. C’est un peu la cerise sur le gâteau ! Si on le fait dans ce but, on s’expose à de grandes déconvenues, car énormément de start-up cessent leurs activités au bout de quelques mois.

Certains business angels ont transformé leur fonction en métier : ils étudient les business plans, la concurrence, etc. Je le fais d’une autre façon. Je vois malheureusement peu les jeunes que j’aide, mais je suis en contact par email. J’ai surtout investi avec Xavier Niel et Marc Simoncini dans le cadre de « 101 projets », en injectant 25 000 € pour chacun de ces projets. Il y avait des milliers de candidats et nous en avons sélectionné 101. Le business angel est surtout là pour donner une « picouse d’énergie », un coup de pouce. C’est de cette confiance et de cette énergie dont les jeunes entrepreneurs ont surtout besoin. 


JÉRÉMIE BERREBI – Cofondateur de Kima Ventures

Olivier-Mathiot

Un business angel finance une société en amorçage. Il apporte du financement et, parfois, du mentorship aux fondateurs. Un angel investit son propre argent, tandis que les fonds d’investissement placent celui des autres. J’ai réalisé 350 investissements dans 24 pays, à raison d’à peu près deux par semaine. Nous avons des placemements qui rapportent 10, 20 à 40 fois la mise, mais beaucoup d’autres s’effondrent. Il faudra faire le compte en fin de course, dans cinq ans à peu près. Il faut être très patient. Il y a beaucoup plus de business angels qui apportent seulement de l’argent, sans parrainage, et qui investissent pour des raisons fiscales. On peut les considérer encore comme angels, car ils font quand même confiance à des entrepreneurs souvent sortis de nulle part. Les fondateurs ont toutefois plus besoin de mentorship que d’argent dans de nombreux cas. C’est pourquoi les accélérateurs ont souvent pris le pas sur les business angels. Ils apportent peu de capital, mais assistent plus les entreprises.


OLIVIER MATHIOT – Cofondateur de PriceMinister et du fonds ISAI

Kosciusko

La France manque encore de business angels. Il en faudrait beaucoup plus.
Le business angel a deux rôles : le financement et l’accompagnement. La combinaison de ces deux éléments est importante. Très souvent, les business angels sont eux-mêmes des entrepreneurs. Certains investisseurs, qu’on appelle les « super angels », investissent dans un nombre limité de sociétés, mais à coup de plusieurs millions d’euros. De mon côté, j’ai investi dans
25 sociétés en quatre ans, mais à chaque fois avec des sommes autour de 50 000 euros. J’essaie de me rendre un maximum disponible pour les entreprises dans lesquelles j’ai mis des fonds. Il m’arrive d’être membre du conseil de surveillance ou du conseil d’administration.

Mais je n’ai pas de fonction opérationnelle au sein de ces sociétés pour autant. Pour qu’une société rapporte de l’argent à son business angel, il faut qu’elle dégage une plus-value, en général à long terme. Or les start-up ne sont pas cotées en Bourse. En tant que business angel, je ne peux gagner de l’argent qu’en cas d’opération sur le capital : un rachat de parts ou une augmentation de capital. Le « fast money » est un mythe, les retours sur investissement pour les business angels ne sont jamais rapides. Pour l’instant, mes espérances de gain se situent dans le futur. Pour qu’une start-up rapporte à ses business angels, il faut entre six et huit ans. Il faut être patient. Il y a d’ailleurs un risque important. Et, souvent, on perd d’abord de l’argent avant d’en gagner, car les succès prennent plus de temps que les échecs. ISAI, le fonds que j’ai cofondé, a par exemple investi dans les start-up BlaBlaCar, Mister-Auto, Prêt d’union, etc.


PIERRE KOSCIUSKO-MORIZET – Cofondateur de PriceMinister et du fonds ISAI

Emmanuel-Vivier

Le business angel, à l’origine, c’est simplement un particulier qui investit directement dans de jeunes entreprises. Mais dans la réalité, sa fonction est plus étendue et elle comprend une implication opérationnelle : coaching, conseil, management, aide à la mise au point du business plan, réseau, et parfois même une participation aux organes de gouvernance tels que le conseil d’administration. En ce qui me concerne, j’essaie d’aller beaucoup plus loin dans l’implication. Mais la plupart des business angels, que l’on appelle les « sleeping angels », n’interviennent pas autrement que financièrement dans le fonctionnement de ces jeunes entreprises. Personnellement, je m’engage quand on me le demande. Mais c’est à l’entrepreneur de monter sa boîte ! Je suis là dans les coups durs.

Aujourd’hui, j’essaie de limiter la quantité de sociétés dans lesquelles j’investis pour pouvoir m’y impliquer. Dans les pays anglo-saxons, n’importe quel investisseur est qualifié de business angel. En France, le terme s’applique surtout à ceux qui prennent de vrais risques et qui ne se contentent pas d’injecter de l’argent dans des projets. Ce qui permet de différencier un simple investisseur d’un business angel, c’est probablement que le second est disposé à consacrer du temps à cette fonction, et qu’il a vocation à apporter une véritable valeur ajoutée au projet. Tout en étant prêt à accepter de ne pas lui donner son avis si on ne le lui demande pas. Je conseille aux jeunes qui se lancent de bien choisir leurs business angels : ils doivent pouvoir leur apporter plus que de l’argent, mais rester à leur place si c’est le souhait de l’entrepreneur.

Il y a eu plusieurs étapes dans mon parcours personnel d’investisseur. A l’époque où je dirigeais PriceMinister, je recevais énormément de demandes d’investissement de la part de jeunes PME. J’ai alors commencé à prendre quelques actions dans une dizaine de boîtes. Puis j’ai quitté PriceMinister et j’ai investi dans de nombreuses jeunes sociétés. C’est la raison pour laquelle nous avons créé le fonds ISAI : une structure qui offre un bon compromis entre le fonds d’investissement et le business angel. ISAI est un fonds structuré, avec à la fois des professionnels de l’investissement et des business angels.

Nous avons par exemple investi dans BlaBlaCar, dans Evaneos ou encore dans Instantluxe. Aux Etats-Unis, de plus en plus de fonds se structurent de cette manière-là. Au total, ISAI a levé près de 150 millions d’euros destinés à des start-up, dont 45 millions pour ma part. Je crois qu’on peut devenir business angel pour plusieurs raisons, qui finissent elles-mêmes par évoluer : parce qu’on est un entrepreneur dans l’âme et que des jeunes viennent vous demander de l’aide, parce qu’on a revendu sa boîte et que l’on souhaite investir dans des start-up, ou encore pour bénéficier du dispositif de la loi Tepa.


EMMANUEL VIVIER – Cofondateur du Hubforum

Il y a différentes manières de devenir business angel : dans le cadre d’un dispositif permettant la défiscalisation, pour aider, par passion… Depuis une quinzaine d’années – depuis la première vague des start-up en France – de nombreux investisseurs, entrepreneurs dans l’âme ou souvent entrepreneurs eux-mêmes, ont eu envie de proposer à des jeunes de les accompagner financièrement et par le conseil pour créer leur boîte. Le business angel n’apporte pas seulement de l’argent à la jeune société. Il offre aussi son expérience et son carnet d’adresses. Souvent, il investit dans le secteur qu’il connaît, alors il peut aider à ouvrir les portes en mettant ses contacts à disposition des entrepreneurs néophytes : des clients, ses relations dans les médias, en matière de recrutement, etc.

J’ai investi dans plusieurs projets, notamment dans l’agence digitale Vanksen, ainsi que dans les régies Buzz Paradise (régie digitale) et Wizee (mise en relation de marques avec des personnalités) ; j’ai été advisor pour Joliebox. Mais tous mes investissements n’ont pas été des succès. Par exemple, j’avais investi dans l’application mobile Yosee et la start-up a implosé. Aujourd’hui, business angel est devenu un vrai métier. Il faut évaluer une grande quantité de projets. J’investis dans une société pour 100 dossiers que je reçois ! Le rôle du business angel est risqué, et sa fonction a tendance à se professionnaliser de plus en plus.


 AMBROISE HURET – Partner chez Eleven Strategy & Management (conseil en stratégie)

Bertrand-Pulles

Il y a toujours eu des business angels. Depuis l’origine du capitalisme, il y en a ! Avant, ils prenaient la forme du vieil oncle d’Amérique qui allait donner un peu d’argent et quelques recommandations. Business angel, ce n’est pas une activité professionnelle. En général, à Paris, il s’agit surtout d’avocats ou de consultants qui s’échangent des dossiers de jeunes projets intéressants, qu’ils peuvent décider d’aider financièrement et en s’impliquant. L’implication est très variable, mais il s’agit principalement de conseils ponctuels donnés à l’entreprise qui se lance. Le but du business angel n’est pas forcément de gagner de l’argent. D’ailleurs, dans les faits, quand un business angel investit, il compte peu sur les retours sur investissement. Personnellement, j’investis une à deux fois par an, mais pas dans une logique d’enrichissement. Je le fais surtout comme un engagement civique, dans une logique d’encouragement.


BERTRAND PULLES – Directeur associé – gérant chez Extend Am

Aujourd’hui, un vrai business angel est une personne qui va mettre de l’argent dans une société, avec bienveillance, pour l’accompagner dans son développement. Elle met également à sa disposition son réseau, son expérience, son expertise, etc. Et, surtout, ce que j’appelle le « fresh air », c’est-à-dire la capacité à challenger le chef d’entreprise en douceur, pour l’aider à avancer. Le business angel n’a finalement pas du tout le même objectif que l’investisseur lambda via un site de crowdfunding. Quand je croise un entrepreneur qui cherche de l’argent, je lui dis qu’il en trouvera facilement si son projet est bon. Je lui conseille cependant de chercher en priorité de l’argent que je qualifie d’« intelligent », c’est-à-dire un business angel dans lequel il aura confiance et qui osera parfois lui poser les questions qui font mal. Le chef d’entreprise est souvent isolé, et il arrive toujours un moment où il a besoin de recul et de conseils. Et le business angel peut l’aider à ce moment-là. C’est un véritable mariage dont on parle où, comme dans tout couple, la confiance et la communication sont essentielles.

Mon parcours est relativement atypique car j’ai monté une société en 1988, d’abord sur le Minitel puis sur Internet. Elle a été rachetée en 2001 par Orange. J’ai ensuite réinvesti mon argent dans les nouvelles technologies, dans plusieurs boîtes. A l’époque, j’avais par exemple investi dans Selftrade, 2xMoinsCher.com, La Bourse des vols ou encore Oodrive (leader français dans le cloud). Et puis je suis entré dans un fonds d’investissement et j’ai commencé à placer l’argent des autres. Je trouve ça bien plus dur que d’investir ses propres ressources car la responsabilité est grande ! Mais c’est tellement passionnant que je suis désormais devenu cofondateur du fonds Extend Am. 


MICHEL SANTI – Professeur émérite en stratégie et politique d’entreprise à HEC Paris

Le business angel est un individu qui accorde un peu d’argent et beaucoup de son temps et de son expertise (en stratégie et management) à un projet qui démarre et a des possibilités de développement importantes. Et cela jusqu’à ce que l’entreprise fonctionne. Si les financiers purs suivent l’activité de l’entreprise de beaucoup moins près, le business angel, très impliqué, joue un rôle essentiel et bien particulier de coach et d’aide à l’accouchement de projets. Il est plus un accoucheur qu’un investisseur. Il aide l’équipe dirigeante opérationnelle de l’entreprise à distinguer l’essentiel de l’accessoire, à identifier et analyser en continu les options qui se présentent, à traiter les risques et les opportunités, à faire les bons choix stratégiques.

La difficulté pour le business angel, c’est, une fois son rôle d’accompagnement de « la phase seed » terminé, de pouvoir sortir quand l’entreprise commence à fonctionner et passe à la phase start-up. C’est là que l’entreprise doit lever des fonds plus importants, via des sociétés de venture capital, pour se développer. Et c’est précisément à ce moment-là que le business angel doit sortir afin de réinvestir dans de nouveaux projets et nourrir ainsi régulièrement les acteurs du financement de la seconde phase. Or cela n’est que rarement possible en France. Car quand un business angel se retire, cela est perçu comme un mauvais signal par les sociétés de capital risque.

C’est le piège du business angel, lequel ne peut alors sortit de la start-up qu’en cas de rachat ou d’entrée en Bourse. Aux Etats-Unis, les fonds d’investissement comprennent bien mieux qu’en France que les business angels doivent pouvoir quitter les start-up à potentiel pour se réinvestir dans d’autres projets en phase de démarrage. A chacun son métier et les vaches seront bien gardées… et le pipe de start-up
à financer sera régulièrement renouvelé.

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