La marque d’horlogerie qu’il a créée fête cette année ses dix ans. L’occasion de revenir sur le parcours d’un entrepreneur hors norme qui a révolutionné un secteur très conservateur. Il nous a ouvert les portes de son refuge breton, un château en chantier permanent où il concentre ses passions, son travail, sa famille et ses voitures de course.

« C’est là, le domaine de Monbouan, indique le chauffeur de taxi. Monsieur Mille a fait beaucoup de travaux, il a planté de nombreux arbres. » Nous sommes au coeur du pays de Vitré, dans la Bretagne profonde, à trente minutes de Rennes. Pas un seul panneau indicateur n’annonce ce splendide château du XVIIIe siècle. Normal, il les a fait retirer. « Comme il n’y a pas de grille et que j’ai tout voulu laisser ouvert et accessible, avant, les gens débarquaient le dimanche pour piqueniquer dans la cour ! » L’accès à la demeure-bureau d’un des plus éminents horlogers contemporains est à l’image du personnage, facile, décontracté. Pourtant, on imaginait volontiers cet entrepreneur toujours affable et souriant, natif de Draguignan, roulant des mécaniques en voiture de luxe. Que nenni. Derrière le large sourire, le teint particulièrement hâlé et un look sport, avec jean déchiré et baskets, se cache une belle personne à la fois calme et posée. Ses réponses sont franches, directes, elles fusent comme des éclats de rire. Les principaux collaborateurs de Richard Mille travaillent dans les communs depuis huit ans. C’est dans cet ancien gîte rural que l’ancien directeur commercial montres et horlogerie, puis directeur général et P-DG de Mauboussin, dessine et conçoit ses montres. A l’époque des débuts en 2001, une montre chère doit être lourde. Mille, avec un garde-temps ultraléger, casse les codes en utilisant des matériaux issus par exemple de la Formule 1. Depuis, chaque année il crée l’événement, va vite, surprend, innove. Dans la vie de tous les jours comme dans son métier d’horloger de luxe, il ne s’embarrasse pas de périphrases. « J’ai voulu échapper au ghetto classique de la haute horlogerie et faire un produit moderne, contemporain. Pourquoi acheter en 2011 une montre réplique d’un modèle de 1780 ? » A en juger par sa bonne humeur et son enthousiasme communicatif, cela lui réussit plutôt bien. Malgré leur prix très élevé, ses créations se vendent comme des petits pains. Le secret de Richard Mille ? Une forme très identifiable, des matériaux hightech comme le titane et une offre à contre-courant du marché. Le succès fulgurant de ses montres depuis leur lancement a placé sur le devant de la scène cet horloger self made man, qui a appris le métier comme Enzo Ferrari, avec ses mécaniciens.Dans le Jura suisse, évidemment. Les garde-temps RM sont bien entendu entièrement faits à la main dans l’usine maison. Le polissage est artisanal et toutes les platines sont en titane ou en nanofibres de carbone. Les mouvements des tourbillons, eux, sont fournis par Renaud Papy, le pape en la matière. Des montres de connaisseurs donc, pour ultrariches et collectionneurs, prêts à débourser 60 000 euros pour une automatique et 600 000 euros pour une grande complication. Et c’est bien sûr avec les produits les plus haut de gamme qu’il a conquis ses clients. L’homme qui roule à la ville en Aston Martin Vantage sait de quoi il parle. L’an dernier, il créait à nouveau l’événement, en parvenant à convaincre Rafael Nadal d’être le premier tennisman à porter une montre sur les courts, pendant ses matchs. Aujourd’hui, Richard Mille porte au poignet la montre avec laquelle le champion espagnol a gagné l’US Open. Elle est reconnaissable aux rayures que Nadal a faites au soir de sa victoire, en se jetant dans le stade. Plus récemment, c’est l’ouverture de la boutique Mille, à Beverly Hills, qui a provoqué l’événement lors de la remise des oscars. Même Natalie Portman a voulu être de la partie ! S’il est fier de voir des personnalités apprécier ses créations, Richard Mille se moque bien des peopleries et des mondanités. Il vit avec sa femme et ses enfants en pleine campagne, loin du bling-bling et de la frénésie du monde qui l’entoure. Habité par un soin du détail impressionnant, son château comme le bonhomme recèle une vraie âme. Richard Mille semble avoir tout compris à la vie. Avec 25 % de sang italien dans les veines par sa grandmère génoise, il cuisine même des pâtes pour ses amis arrosées de grands crus qu’il conserve dans ses caves centenaires. Quand il ne fait pas de vélo ou ne creuse pas des tranchées dans sa propriété. Car cet homme à la trajectoire éclair dans les affaires est en réalité un adepte de la vie comme un long fleuve tranquille. Ce qui ne l’empêche pas d’ouvrir boutique sur boutique, demain Londres chez Harrod’s puis New York et d’ancrer chaque jour davantage ses montres comme les premiers modèles classiques du XXIe siècle. Un jour, c’est sûr, il pourra écrire au front du manoir familial, « Richard Mille, depuis 2001 ».

 

Entretien avec un empire L’Optimum : Pourquoi avoir installé ici à la fois vos bureaux et votre maison ?

Richard Mille : Avant, j’habitais Paris et nous avions une maison dans le Perche. Je voulais être au vert avec ma femme qui monte à cheval et mes enfants. Et je n’avais pas beaucoup d’affinités avec le Sud-Est. On a atterri en Bretagne, où, comme dirait Kersauson : « Il ne pleut que pour les cons. » La maison était en très bon état, mais pas la déco et les communs. Petit à petit, on refait des choses. Mais ce n’est jamais fini et c’est cela qui est drôle.

Comme dans l’horlogerie ?

Oui, nous avons aujourd’hui atteint une taille suffisante. Je ne veux pas faire une course au volume. Certains concurrents le font beaucoup mieux, alors je les laisse faire. Mon niveau d’activité suffit à mon bonheur, même s’il peut encore gonfler, mais je n’irais pas au-delà de certaines limites. Ce que j’aime faire, ce sont des produits très élaborés, comme la montre que j’ai faite pour Rafael Nadal.

Comment est née cette aventure ?

Je voulais battre en brèche la notion de valeur perçue. Pour moi, dans le luxe, le confort est primordial. Une montre doit être fiable, facile à remonter et ergonomique. J’ai été le premier à faire des produits très légers. Dès le début, j’avais choisi de ne pas faire de montres en or, mais avec des matériaux ultralégers et cela a créé une lame de fond.

Mais vous n’êtes pas horloger ?

Non, pas le moins du monde. J’ai appris sur le tas. Cela me donne une grande liberté, parce que je ne cherche pas le compromis. Je fais les produits que je veux. Certes, j’ai toujours été dans les chiffres, mais j’ai une passion pour les concepts.

Comme avec les voitures ? C’est cela qui vous fascine ?

Ce qui est sous-jacent dans les deux domaines, c’est la technique. Je suis un fou de technique et de technologie. Plus c’est compliqué, plus c’est excitant. Je suis fou d’automobile, comme d’aviation ou de conquête spatiale. Ce qui me plaît dans l’horlogerie, c’est de traduire une technique, de résoudre des problèmes de volume de boîtier d’une montre à complication, ou de poids. Mais je ne suis pas un techno-macho.

Vous êtes très agaçant, vous semblez savoir tout faire !

Je suis derrière cette marque depuis le début. Je fais les dessins des modèles sur papier, 80 % du design, j’envoie à l’usine, ils font les développements, mais je prépare tout avant. J’ai une idée précise des mouvements, je connais les pièces et je les fais modifier si nécessaire jusqu’à ce que cela me convienne.

Parlez-nous de vos voitures de course vintage rassemblées dans l’une de vos dépendances…

J’aime les voitures anciennes, pas les montres anciennes. C’est un paradoxe, et pas le moindre ! Pour moi, le temps qui s’arrête, c’est la mort.

Vous courez avec vos bolides ?

Oui, j’aime les courses de voiture, autant pour la technologie que pour la vitesse. J’aime l’auto sous toutes ses formes. Par exemple, les années 70, en ce qui concerne la course automobile, couvrent une période assez intéressante, avec des partis prisesthétiques et techniques qui nécessitaient des prises de risque importantes de la part des techniciens ou des designers. J’aime moins maintenant que tout est fait par ordinateur. Avant, il y avait une forte dimension artistique et une implication personnelle du type qui faisait les voitures.

Vous êtes, comme Ralph Lauren, plus sensible à l’esthétique qu’à la mécanique ?

Je ne suis pas un mécano, mais j’ai tout ce qu’il faut dans mon garage pour faire démarrer mes autos qui sont toutes en état de marche. C’était un vieux rêve de môme. J’ai acheté les autos que je voyais courir au Mans à l’époque. Je suis comme mes clients qui réalisent adultes les rêves qu’ils avaient en culottes courtes, comme mon ami Guy Laliberté, du Cirque du soleil, qui est allé dans l’espace.

En savoir + : www.richardmille.com ou www.larevuedesmontres.com

 

Richard, what else ?

Véritablement passionné d’autos anciennes et de tout ce qui a trait à la mécanique, Mille court comme pilote chaque année dans le Tour Auto qui rassemble les meilleurs gentlemen driver. Sa maison est également le principal partenaire du Mans Classique et du Grand Prix de Pau historique. Richard Mille sponsorise également une nouvelle épreuve de voile, les Régates de Saint- Barth. Autant de domaines dans lesquels il puise l’inspiration. Et tout dernièrement, RM vient d’annoncer la constitution de sa propre équipe de polo. Parmi ses membres, le prince Bahar de Brunei, les Argentins Pablo MacDonough (N°1 en 2010) et Alejandro Muzzio, et l’Anglais Max Routledge. Dès cette saison, le team Richard Mille prend part aux plus grands tournois internationaux et ses membres porteront une RM 010 en édition limitée.