Le surf peut avoir d’insoupçonnées vertus pacificatrices. C’est en tout cas ce qu’assurent un documentaire et un livre, consacrés au projet « Surfing for peace ».

« Ceux qui peuvent surfer ensemble peuvent vivre ensemble. » Pour évidente et banale qu’elle puisse paraître, cette phrase prend une saveur particulière si l’on sait qu’elle désigne des surfeurs arabes et juifs, dans une zone de la planète plus réputée pour ses échanges de tirs que pour son ambiance conviviale au pic, là où déferlent les vagues. Elle a été prononcée par l’Américain Dorian « Doc » Paskowitz, 90 ans, surfeur de légende qui fut aussi le premier à faire entrer une planche en Israël (1956, un longboard Hobie), et surtout cofondateur de l’association Surfing for peace en 2005 avec Arthur Rashkovan, skateboarder émérite, surfeur passionné et à l’époque président de l’association israélienne de surf. A l’origine, il s’agit d’un projet un brin surréaliste visant à améliorer les relations entre surfeurs juifs et arabes. Pour ce faire, l’association commence par donner des planches à la petite poignée de surfeurs arabes de Jaffa (Tel Aviv), et organise dans la foulée une compétition entre surfeurs des deux communautés. Un premier jalon est posé, mais l’histoire accélère deux ans plus tard, à la suite de la publication d’un article dans le dénuement de la petite trentaine de surfeurs que compte la bande de Gaza, petite enclave palestinienne située au sud d’Israël, à la frontière avec l’Egypte. Ils sont alors une vingtaine à devoir se partager quelques vieilles planches s’ils veulent partir à l’assaut des vagues qui déferlent sur la plage d’Al Deira. Rashkovan et les Paskowitz (le père et l’un de ses fils David) décident alors de passer à la vitesse supérieure. En trois semaines, forte du soutien du décuple* champion du monde de surf Kelly Slater – d’ascendance syrienne –, l’équipe rassemble un lot de quatorze planches d’occasion qu’elle parvient à faire passer aux surfeurs palestiniens au postefrontière d’Erez, qui sépare Israël de Gaza. Un succès relayé par les médias du monde entier, mais qui sera hélas difficilement transformé. La prise de contrôle de Gaza par le Hamas, en juin 2007, et le durcissement des relations avec Israël qui s’ensuit, entraînent un renforcement de l’embargo sur le territoire. Dans ces conditions, impossible de fournir davantage de matériel aux beach boys locaux. Mais les Israéliens s’accrochent, et leurs soutiens s’organisent. Ils sont bientôt rejoints par l’Américain Matt Olsen, ami d’enfance d’Arthur Rashkovan, fils d’un diplomate américain, qui crée l’ONG Explore Corp et se rend en personne à Gaza en 2008 afin d’apporter de nouvelles planches et de rencontrer les surfeurs locaux, créant à cette occasion le Gaza Surf Club. Une dynamique est lancée, le projet s’inscrit dans le paysage, les télévisions du monde entier s’intéressent à l’action de ces drôles d’ONG et à ces surfeurs qui sont sans doute les plus démunis de la planète. Quand L’Optimum lui demande s’il n’est pas dérisoire d’apporter des planches de surf à des gens qui n’ont rien, Matt Olsen s’enfl amme : « Mais personne ou presque n’aide la population de Gaza ! Tout coup de pouce est donc bon à prendre. Cela dit, ce n’est pas le pire endroit au monde et les gens n’y meurent pas de faim. Notre but est simplement d’aider à améliorer la vie des habitants, de leur montrer une autre façon d’apprécier la plage et la mer. Et cela nous a permis d’établir des relations extraordinaires. » Si le matériel arrive peu à peu à Gaza, on reste loin du dernier cri : nombre de pratiquants utilisent encore de vieux flotteurs de planche à voile, qui ont l’avantage de la solidité, tandis que des ficelles font offi ce de leash (le cordon reliant la jambe du surfeur à sa planche). De même, des morceaux de contreplaqué très grossièrement découpés remplacent les ailerons quand ceux-ci rendent l’âme. Autre problème, la température de l’eau : sans combinaison, le surf n’est possible que de mai à septembre, au mieux octobre… Sur la page Facebook du Gaza Surf Club, on se donne ainsides « trucs » pour fabriquer de la wax (la cire que l’on applique sur le pont de la planche pour favoriser l’adhérence des pieds) à la maison. La récup’ est reine, mais la passion intacte : « Je passe le plus clair de mon temps à surfer car alors je me sens libre », résume un jeune Gazaoui dans le documentaire (doublé d’un livre) achevé et présenté en 2010, God Went Surfing With The Devil, par Alex Klein, ex-skater pro. Avec sa petite équipe (trois amis à lui), l’Américain aux origines juives a passé deux mois entre les rues de Tel Aviv, les plages de Jaffa et la bande de Gaza, où il restera quatre jours, à la rencontre d’habitants et d’acteurs de la scène surf locale. Youssef, 16 ans, y explique par exemple qu’il aimerait que ce soit plus facile de sortir de Gaza « pour rencontrer des étrangers et surfer avec eux dans des endroits inconnus ». Son père Jawad, 41 ans, se félicite de ce que Surfing for peace offre à la jeunesse des perspectives à long terme. Mais au-delà du surf, « ce qui manque ici, c’est la possibilité de recevoir une bonne formation, trouver un bon travail et mener une vie confortable (…) Laissez-nous retourner pêcher au large et faire notre vie », conclut-il.