Pour certains, Thomas McGuane est le dernier grand écrivain américain encore vivant. C’est une raison largement suffisante pour se procurer son dernier roman, Sur les jantes. Un livre somptueux et son premier depuis sept ans.

 

L ’Ouest américain. Une terre en même temps qu’une frontière. Un espace qui, à lui seul, résume et symbolise l’histoire des Etats-Unis : découverte, conquête, résistance, montagnes, réserves indiennes, ruée vers l’or. Des milliers de kilomètres qui furent vénérés avant même d’avoir été complètement explorés. Pour certains, la mythologie de l’Ouest est une légende fondée par les gens de l’Est. L’Ouest américain, c’est une contrée réelle et imaginaire à la fois. Le lieu même du mythe américain de « la deuxième chance ». Ici copulent la vie et la mort. C’est le western. Ce sont aussi les romans de Fenimore Cooper, de Mark Twain, de Norman Maclean. Ou de Thomas McGuane. Ses écrivains participent en général du « nature writing », ce genre littéraire et typiquement yankee, à base de grandes pages sur l’environnement et de parties de pêche, qui permet de métaphoriser et d’explorer l’âme humaine : Crumley, Ford, Savage, Welch, Harrison, etc. Certains récusent l’appellation, d’autres la revendiquent. Du décor à la nature Thomas McGuane vit dans ce genre d’espace depuis une trentaine d’années. Avant d’arriver là, il avait envoyé valdinguer sa Porsche dans le décor, à 240 km/h. Un point final de ce qui avait été sa vie durant une dizaine d’années : cocaïne, liaisons tumultueuses, divorces à répétition, scénarios pour Hollywood (Missouri Breaks entre autres), et un surnom de « Captain Barjot ». Tirant un trait sur les folles nuits de Key West et les paradis artificiels de Sunset Boulevard, il alla voir les lignes d’horizon du Montana, se trouvant un ranch immense à McLeod, où il vit encore. Il se mit au rodéo (trois fois champion du Montana), et se trouva un nouveau surnom : « Big Thomas », conforme au charisme dégagépar sa carcasse de 1,90 m. C’est là qu’il revint aux fondamentaux : l’écriture, le désenchantement, la nature. Sur la voie du grand écrivain Jim Harrison, de deux ans son aîné, ami de longue date rencontré à l’université du Michigan dans les années 1960. Et qui, comme lui, aime la nature, la défonce et l’amertume. Harrison et McGuane sont les deux derniers grands écrivains naturalistes de leur génération.

Des grands espaces au grand roman

Celui qui avait publié plusieurs romans avant sa période hollywoodienne, celui en qui le New York Times avait vu « un talent d’un potentiel faulknérien » et Saul Bellow « une star du langage » est redevenu écrivain : « Je suis bien moins attiré par des personnages qui me ressemblent que je ne l’étais à mes débuts. C’est une lutte bien plus intéressante que d’imaginer la vie d’autres personnes. Et ce qui est plus attrayant, c’est de mettre des personnages odieux, désagréables ou incompétents dans des espaces narratifs autrefois réservés aux héros », remarque-t-il à l’occasion de la parution de Sur les jantes en France.

Une ode au vivant

Grand choc de cette rentrée de janvier, ce grand roman est un événement puisque, depuis 2004 et A la cadence de l’herbe, nous n’avions eu qu’un recueil de nouvelles comme seule trace de vie de notre homme. Sur les jantes, c’est du nectar de McGuane. Le narrateur, Berl Pickett, médecin dans le Montana, se trouve forcé de faire le bilan de sa vie au moment où il est accusé d’une erreur médicale ayant causé la mort. Liaisons féminines nombreuses, études, vie urbaine moderne, tout y passe. Mais éclate surtout l’amour pour la nature, les animaux, les chiens, et les chevaux. L’enfance du personnage « fut loin d’être idyllique mais non dépourvue de ces joies de garçon comme la pêche et la chasse, qui me firent plus tard encenser la vie dans les Grandes Plaines ». Ce destin est retracé dans ces pages magnifiques sur le rapport aux vivants et aux morts, aux hommes et à l’environnement, et sur cette vie qui file « vers son propre terme en ligne droite, et sans aucun espoir de renouvellement ». Une nouvelle fois, la musique de McGuane accorde le destin d’un homme et la magie des paysages, en un vibrant hommage au vivant. Sur les jantes est une ode au retrait du monde bienvenue dans un univers de surenchère à la vitesse. L’écrivain pète la forme, et conclut : « Les romans doivent avoir les êtres humains pour sujet, pas les paysages. Un auteur écrivant sur un tel univers, un tel lieu, dominé par une telle nature, travaille avec un inconvénient : les heurts, les actions et les rêves des personnages sont comme diminués par la puissance de leur environnement. »