Entertainment Le 06/12/2016 par Felix Besson

Le prix Nobel en couverture de l’Optimum de décembre-janvier

Le père Nobel est une ordure

Par Baptiste Piégay

Il suffisait de rien, ou presque, pour que le monde, soudainement, se découvre une nouvelle passion pour la littérature. Notons que des domaines aussi notoirement barbants que la chimie, la physique, la médecine, la paix dans le monde – ou pire ! – l’économie, n’ont pas le bonheur de se découvrir un inattendu fan-club en l’espace de quelques secondes. Peu, sans doute, à l’exception des professionnels, ont un avis sur les molécules, les négociations entre les FARC et le président colombien, ou l’autophagie. En revanche, Philip Roth, Don DeLillo ou Haruki Murakami peuvent se réjouir : si tous ceux qui se scandalisaient de ne pas les voir honorés d’un Nobel achètent leurs livres, ils peuvent envisager de retaper la grange du Connecticut, d’acheter le studio du dernier étage pour se faire un joli petit duplex sur la 39e rue  ou bien d’aller nager avec les dauphins à Bora Bora.

Soudainement, donc, la littérature devenait l’affaire de tous. Comment ça, ce vieux rocker est récompensé ? Et pas XXX ? On ne reviendra pas ici sur la légitimité de cet honneur. Allez, si, brièvement : quel plaisir de voir reconnu un travail véritablement littéraire sur la langue – qu’elle soit chantée n’est finalement que sa vocation finale, pas sa nature, comme celle de la poésie est d’être récitée, incarnée dans la voix. Et si le ménestrel du Minnesota n’a rien dit, au jour où ce magazine part à l’impression, suscitant l’outrage, à nouveau (mais lorsque Einstein snoba les membres de l’académie en 1921 ou que Sartre déclina de recevoir son prix, en 1964, ils échappent bizarrement à toutes les accusations d’arrogance…), comment s’en étonner ? Est-il seulement honoré ? Ce n’est certes pas l’argent qui lui manque (une estimation basse fait du don l’équivalent d’une douzaine de concerts), ni les médailles en tout genre – mais tout de même, un Nobel… Avant la cérémonie, les bookmakers enregistraient les paris sur les lauréats possibles ; aujourd’hui, c’est la présence du principal intéressé qui fait l’objet de toutes les hypothèses. Il ne cesse d’enregistrer, de donner des concerts, mais ne dit rien. Il offre de la matière, mais ne la commente jamais. Et cela semble inacceptable.

Cette stratégie de l’évitement, de l’effacement, assez peu contemporaine et formidablement irritante pour ses contempteurs, qui a toujours épousé la carrière du chanteur, nous met face à face avec les contradictions du temps (qui changent, rappelons-le). À vouloir tout embrasser, qu’aime-t-on ? À prétendre tout connaître, que sait-on ?

Du fantasme Renaissance de l’honnête homme maîtrisant langues et savoirs, héritages et techniques, nous serions aujourd’hui coulés dans un moule tyrannique, où la culture serait un plateau de mezze. Un peu de tout, mais rien qui, en soi, fasse un plat.

S’il y a bien une leçon, une seule, délivrée démocratiquement par le comité Nobel, c’est celle de la patience, du temps donné à l’apprentissage et à son raffinement. Que Robert Allen Zimmerman ou Juan Manuel Santos soient nos professeurs du jour, humbles messagers, est peut-être anecdotique.

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