Entertainment Le 15/02/2017 par La rédaction

Clubbing : la mue du monde de l’électro

3 septembre 2015. Un millier de fêtards en liesse se pressent dans la nuit aux portes du numéro 79 des Champs-Elysées. C’est ici, de l’autre côté de la plus belle avenue du monde, qu’a pris ses quartiers le « Queen » réinventé. Pour sa soirée inaugurale, le club ne se refuse rien. Car si cette foule y est réunie, ce n’est pas tant pour contempler le décor mais plutôt pour assister à l’événement musical de cette rentrée : le retour de David Guetta dans une boîte française, ce qui ne s’était pas vu depuis des années, le DJ star étant trop affairé à faire danser la planète. Retour au bercail donc pour celui qui avait été directeur artistique du club à ses débuts, de 1992 à 1995, à une époque où le son électro n’intéressait encore qu’une poignée de happy fews dansant en trance sur les mix de parfaits anonymes, dont il faisait alors partie.

Par Edson Pannier

 

Aujourd’hui, le temps des raves et des clubs confidentiels est révolu et l’électro se célèbre aux quatre coins du monde dans des concerts monumentaux où les DJs sont acclamés comme des rock stars par des foules en délire. A l’instar de David Guetta, passé de l’ombre à la lumière dans les années 2000, la musique électronique elle aussi a fait sa mue.

Industrie marquetée vs scène underground

« Il y a vingt ans, les DJs précurseurs jouaient en soirée par passion, sans se soucier d’en faire un métier. Quand la police s’en est mêlé et a interdit les raves, la techno s’est peu à peu introduite dans les clubs, et s’est doucement mais sûrement institutionnalisée. Le business est apparu à ce moment-là », racontent Sofia et Nicolas, de l’agence Lola ED, bookers et managers de DJs français et étrangers. Qui aurait pu prédire il y a quelques années que les Daft Punk mettraient un jour au tapis les stars de la pop, raflant l’ensemble des Grammy Awards pour lesquels ils étaient nommés ? Un record pour le duo frenchy qui avait par ailleurs enflammé le Staples Center de Los Angeles lors de la cérémonie, interprétant son tube planétaire, « Get Lucky », aux côtés de Pharrell Williams, Nile Rodgers, et Stevie Wonder en invité d’honneur. Beyoncé et Katy Perry sont dans l’assistance ce soir-là, et comme le reste des personnalités présentes, elles dansent et chantent sur les beats électrisants de Thomas Bangalter et Guy-Manuel de Homem-Christo.

C’est dire à quel point la frontière se fait mince entre la pop music et les grands gourous de la scène électro. La faute sans doute à l’EDM (Electronic Dance Music), trois lettres qui font grincer des dents les puristes, puisque pour les Américains elles sont censées rassembler les sept genres et les 45 sous-genres qui composent la musique électronique. Un monstre tentaculaire qui engrange quelque 6,9 milliards de dollars de bénéfices mais auquel la scène underground européenne se défend d’apparte- nir. « Ce n’est pas parce qu’il y a un synthétiseur qu’on partage la même philosophie », estime Fabrice Desprez, fondateur de l’agence promo Phunk qui gère la communication de DJs et de festivals. « L’EDM est une industrie tellement marquetée qu’elle ne laisse pas beaucoup de place à la musique. »

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Si les racines sont communes, le message et la cible sont radica- lement différents, et les sponsors ne s’y trompent pas. très vite, les marques se sont intéressées au potentiel de l’électro. Aujourd’hui, Giorgio Armani fait de Calvin Harris l’égérie de sa ligne unde- rwear, le label Ed Banger dessine une bouteille de heineken pour les 140 ans de la marque, mais ce sont surtout les festivals qui bénéficient du soutien des entreprises. Des rendez-vous qui font se déplacer des centaines de milliers de personnes comme l’évé- nement phare de l’EDM, tomorrowland en Belgique, dont on ne compte plus les sponsors, allant de MasterCard à Coca-Cola en passant par Durex. D’autres marques participent activement à la découverte de nouveaux talents, tel Red Bull qui joue ce rôle depuis bientôt dix-huit ans via sa Red Bull Music Academy.

Côté underground, le constat est différent. Clément Meyer, en charge de la programmation artistique de We Love Art, fait une autre analyse : « Il ne faut pas croire que les marques se bousculent au portillon pour faire des chèques en blanc. Elles sont encore fri- leuses à l’idée de s’associer à des événements dont elles ne com- prennent pas toujours la portée culturelle. En France, quand on parle de musique électro, soit elle est associée à David Guetta, soit à un punk à chien teufeur et drogué. Ces clichés ont la vie dure et ne sont pas représentatifs, ni de la richesse des artistes, ni de la qualité des événements proposés. » Les deux festivals parisiens organisés par son collectif – We Love Green et Peacock Society – accueillent tout de même jusqu’à 30 000 personnes, et ne sont financés par des partenaires privés qu’à hauteur de 32 %, le reste provenant surtout de la billetterie. « Nous sommes très loin des business models à “plusieurs milliards de dollars » qui touchent aujourd’hui le monde de l’EDM. » En termes de clubbing, Paris se cherche encore malgré l’émergence de nouveaux lieux qui, dans la lignée du « Rex Club », relèvent la scène électro. on peut citer entre autres « Concrete », « Virgo », le « Badaboum » ou « La Machine du Moulin Rouge ». Chez We Love Art et Lola ED, on s’accorde pour dire que la France, qui compte environ 2 000 clubs, accuse un léger déficit en la matière par rapport à ses voisins anglais, allemands et néerlandais.

Société de l’instantané

Mais l’écart se réduit car, après trois décennies marquées par les fermetures de clubs, l’hexagone voit fleurir de nouveaux établissements, notamment du côté de Bordeaux, Rennes ou Rouen, qui font la part belle à l’underground. Des lieux dont le défi sera de réconcilier la grande famille électro afin de satis- faire ses amateurs de plus en plus nombreux et aguerris puisque élevés au Web 2.0. « Ce style musical est en parfaite adéqua- tion avec notre société moderne et connectée. Nous sommes une société de l’instantané et du vite consommé. La musique électronique dans sa globalité – EDM notamment – répond à ce besoin. D’autre part, c’est un moyen d’expression à la portée de presque tout le monde : avec un ordinateur et un logiciel, on peut s’essayer à la production », rappellent Sofia et Nicolas. Aux Etats-Unis, selon la NAMM (National Association of Music Merchants), les ventes d’équipements pour DJs ont enregistré une hausse de 16 % en 2013, précédés de cinq années de résultats positifs, et ce notamment au détriment des instruments à cordes. La relève est donc assurée.

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