Entertainment Le 09/02/2017 par Felix Besson

Rudy Gobert en couverture de l’Optimum de février

Cartons & tubes

Par Baptiste Piégay

 

« Ce n’est pas une vie que de ne pas bouger », en tout cas si l’on en croit Alexandre Yersin (1863-1943), médecin, bactériologiste et explorateur franco-suisse. Ainsi, il arrive au moins une fois dans une existence de faire ses cartons pour aller voir ailleurs. Si leur déballage est joyeux (quoique cela dépende des circonstances), les remplir est un calvaire. Enrober le fragile de papier bulle, bien caler les livres pour optimiser l’espace, plier les vêtements avec un soin réservé à l’origami… De l’application accordée à cette entreprise résultera le succès du déménagement, et de l’emménagement consécutif. Ne parlons pas même de l’humeur du déménageur, souvent décisive dans l’affaire.

Trop lourdement chargé, le carton sera importable. Pas assez, l’espace perdu sera amèrement regretté lorsque traînera solitaire dans un coin l’intégrale en Pléiade de l’œuvre de Shakespeare, et que plus un seul carton ne sera disponible. Pareillement, le chimiste, amateur ou professionnel, sait l’importance de doser les composants qu’il verse dans ses éprouvettes. Une main trop leste, et c’est le laboratoire (ou le salon) qui explose. Pas assez lourde, et l’expérience sera vaine.Pour que « ça » marche, il faut apprendre à anticiper, mesurer, soupeser, équilibrer. Les producteurs, tels que l’imaginaire collectif les conçoit, qu’ils usinent films à pop-corn ou scies pour mariages, pratiqueraient leur métier avec la même rigueur scientifique. Un gramme de sexe, deux de castagne, cinq de romance, trois de diversité, un solo de guitare à la deuxième minute, un chœur angélique sur le refrain, une batterie lourde, un gimmick récurrent au piano. La même prudente conception appliquée à une équipe de football ou de basket – certaines semblent montées sur la même chaîne d’usine que celles d’où sortent les Transformers ou les disques de Charlie Puth – aurait siphonné l’intérêt du sport.

Programmées pour cartonner, leurs créations rallient le clan des blockbusters (ou pas). Les champs artistique et sportif embarrassés de leur impératif de rentabilité se voient submergés par de froids calculs. Faudrait-il susciter une nouvelle controverse de Valladolid pour déterminer si les blockbusters ont une âme ? Ou ne sont-ils animés que par une logique statistique ?

Cinéaste merveilleux et fin théoricien, Martin Scorsese voyait dans le cinéma hollywoodien classique, fabriqué avec un souci d’artisan et une vision comptable aiguë, une profondeur dissimulée : « Ça ressemble à un truc normal, ça en a tous les éléments, mais enfouis dans ce qui ressemble à un thriller, il existe des idées, des mystères qu’on transmet et que le spectateur peut capter s’il en a envie. Mais s’il passe à côté, ça ne change rien au plaisir qu’il pourra éprouver. »*Ces contrebandiers déposent à nos pieds des offrandes à déterrer. Remue-méninges, tour de force rhétorique, peut-être. Mais cette gymnastique en vaut bien d’autres. Le point de vue apporté permit pourtant de percevoir le souffle animant ces machines, de sentir palpiter le sang sous la peau de l’algorithme.Il en va ainsi de la vie du blockbuster, animal à sang froid, voire glacé, mal-aimé : lui accorder un peu de notre attention sera notre première résolution de l’année.

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