Style Le 30/11/2016 par La rédaction

L’irrésistible ascension de Philipp Plein

Il y a peu, son nom était inconnu. Aujourd’hui, le créateur allemand Philipp Plein a imposé sa mode, folle, extravagante, insouciante des avis autorisés. Des boutiques ont poussé partout dans le monde, les plus grands photographes réalisent ses campagnes, ses défilés XXL affolent Milan, et son banquier est un homme comblé. Il nous a raconté son irrésistible ascension.

Par Baptiste Piégay

Comment avez-vous débuté ?

C’est une bien longue histoire ! Je suis né à Munich. En grandissant, j’avais un caractère rebelle, des cheveux longs et une veste en cuir. A l’adolescence, on m’a expédié en pension, et j’ai changé de look :  chinos et polo,  cheveux courts. A cette époque, j’ai fait un séjour aux Etats-Unis.

C’est un âge où l’on prend de grandes décisions, qui changent toute la vie. J’ai commencé à m’intéresser au droit, en me rendant compte que 95% des gens ne connaissent pas la loi. De retour en Allemagne, je me suis inscrit à l’Université, qui était toute proche de la maison de mes parents, où je suis retourné habiter. En pension, on apprend à être indépendants… Je voulais retrouver cette sensation, mais il me fallait gagner de l’argent. Je voulais devenir un artiste, mais j’avais un peu peur. Je me suis tourné vers mon autre passion, le mobilier.

A quoi ressemblaient vos premières créations ?

Pas du tout à ma mode ! Elles étaient très minimalistes, en acier brossé, inspirées par le Bauhaus, Mies Van der Rohe, Le Corbusier…Je les ai présentées à une foire de mobilier à Berlin, Ambiente, il y a onze ou douze ans. Dans la foulée,  j’ai pris un stand de 12 mètres carrés à Maison & Objets. Comme mes parents désapprouvaient mes nouvelles activités qui m’avaient fait abandonner mes études, c’est ma petite amie de l’époque qui payait pour tout. Ça s’est pas trop mal passé, puisque j’ai vendu pour 20 000 euros. Les commandes arrivaient : je concevais des meubles sur mesure pour des maisons, des jets, des yachts, des hôtels. J’enchaînais les salons…

Vous apprenez ainsi à faire du business ?

Je mettais en pratique un conseil donné par mon père : ne jamais dépenser plus que ce qu’on a en poche. Les débuts étaient durs, mais je n’ai jamais contracté d’emprunt. L’argent que je gagnais était réinjecté dans mon entreprise. Il nous est arrivé avec ma petite amie, de dormir dans un motel où des prostituées faisaient des passes : on devait faire notre valise le matin, tout ranger, et nous revenions le soir…Petit à petit, je commence à combiner l’acier avec du cuir.

Il y a un salon à Bologne, Lineapelle, où tout le monde de la mode se retrouve, parce qu’on y trouve les plus belles peaux. Il y avait tout ce qu’on peut imaginer : de l’autruche, du reptile, du crocodile…J’ai trouvé un très bel imprimé crocodile, fabriqué par une entreprise à Florence, sur Santa Croce. J’en ai commandé de très grandes quantités, pour réaliser des canapés. Mais le cuir était beaucoup trop épais !  Et j’en fait une table qui a eu un grand succès. Elle et ma collection de meubles en acier brossé et cuir m’ont fait gagner mon premier million.

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Vous auriez pu rester dans le mobilier…

Ma plus grande fierté, c’est lorsque Michael Conrad, alors à la tête de l’agence de publicité Leo Burnett, qui avait conçu la campagne fameuse avec le Marlboro Man, m’a commandé des meubles pour sa maison de Zurich. J’avais énormément d’ambition, je voulais détromper mes parents, qui n’acceptaient toujours pas que j’ai abandonné mes études. Pour répondre à ta question, c’est une histoire de coïncidence : j’avais beaucoup de chutes de cuir, que je revendais à des fabricants de chaussures et de sacs. Quelqu’un dans mon entreprise m’a proposé d’en faire.

En 2003, Moët et Chandon m’a sollicité pour décorer leur salon VIP lors d’un événement à Düsseldorf. Ils ne pouvaient pas me payer, mais ont accepté que j’y expose mes sacs. En une soirée, j’en ai vendu pour 100 000 euros ! Progressivement, j’arrive dans le monde de la mode. Mais c’est en 2004, que ça bascule vraiment, en présentant à Maison et Objets une pièce qui avait besoin d’être accessoirisée : j’y ajoute des coussins en cuir, customisés avec des pierres formant un crâne. Pour faire un rappel, j’accroche une veste vintage de l’armée allemande que j’avais acheté pour trois fois rien. J’y ai cousu le même motif que celui des coussins avec des cristaux Svarovsky. Tout le monde voulait l’acheter !  A force, pour me débarrasser d’un client qui insistait, j’ai répondu qu’elle était à 3500 euros. Il l’a achetée.  De salon en salon, j’en ai beaucoup vendu, pour un million. Le crâne est devenu l’emblème de la marque.

L’idée, c’était aussi de se faire remarquer ?

C’est une nécessité, personne ne me connaissait. Un jour, à Berlin, j’ai loué le train fantôme d’un parc d’attraction pour présenter une collection ! Le public se mettait dans les wagons, et les pièces apparaissaient entre deux monstres. Je ne venais pas du monde la mode, et ça me donnait une autre perspective sur la façon de faire les choses. Les autres marques étaient plus fortes, plus riches, je devais me positionner en sorte que l’on ne puisse pas me comparer à elles. A vouloir les imiter, on aurait eu l’air de tout petits suiveurs, nous n’aurions jamais réussi.

Alors, comment faire?

On vend d’abord une marque, une émotion, un lifestyle, puis un produit.  La première étape, c’est d’établir une visibilité, avec des boutiques. Elles permettent de communiquer directement avec le client, d’établir un dialogue entre lui et le produit. Et j’ai un contrôle total sur leur conception.

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Attribuez-vous votre succès à votre politique très dynamique d’ouverture de boutiques ?

Je l’attribue aussi au fait que nous avons des produits très forts et uniques sur le marché. Par exemple, lorsque je faisais un pull en cashmere, je le customisais avec des cristaux  Svarovsky et le vendais beaucoup plus cher que les modèles sans cristaux de la concurrence. De plus, la qualité allait en s’améliorant : au début, aucune usine ne voulait entendre parler de nous. Personne ne nous connaissait.

Vous dîtes que n’êtes pas comparables aux autres marques, mais comme pour elles, les chaussures sont votre point fort commercial…

Elles représentent environ 33% de notre chiffre d’affaires. Et en effet, notre business model n’est pas original. Toutes les marques fabriquent dans les mêmes usines, suivent le même système de distribution,  utilisent les mêmes architectes pour leurs boutiques, qui sont dans les mêmes rues, emploient les mêmes photographes qui shootent les mêmes mannequins, ont recours aux mêmes attachés de presse, annoncent dans les mêmes magazines et ont le même genre de clientèle. On ne fait rien de différent, mais on le fait à notre façon !

Vos campagnes sont toujours très frappantes, vous travaillez avec de grands noms comme Terry Richardson…

Là encore, c’est une nécessité. Nos clients aiment cette image fun. Je ne cherche pas à être autre chose que ce que je suis. Gardez en mémoire que nous sommes encore une petite maison. Quand je dépense un euro, il faut donner l’impression que j’en ai dépensé dix. Vous vous souvenez des campagnes Benetton d’Oliver Toscani ? Comme celle où l’on voyait un enfant agonisant ? Je ne peux pas dire que je les aimais, mais je m’en souviens encore. Si l’on joue le jeu, il faut le gagner !

Vous avez votre propre nom tatoué sur l’avant-bras. Quel est l’histoire de ce tatouage ?

C’était pour fêter pour premier million de chiffre d’affaires, à 22 ans. J’ai aussi fait tatouer un ange, lorsqu’il a atteint 10 millions. Il y aussi le prénom de mon fils, Jésus et un crucifix. Je suis très croyant, même si je ne vais plus à l’Eglise tous les jours.

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Quelles sont les prochaines étapes de votre croissance ?

Le plus beau, c’est le rêve, de faire le voyage qui vous y amène. Quand vous l’attrapez, vous le tuez. J’ai eu quatre Porsche, je les ai toutes détruites. Et seulement une fois par ma faute, je précise ! J’ai construit trois ou quatre maisons, dont je me suis occupé de A à Z. A chaque fois, dès que j’en avais fini, j’étais déprimé. Dépenser de l’argent ne me rend pas heureux. 

En ce moment, j’embauche beaucoup, de 5 à 7 personnes par semaine, dont certaines viennent de chez Prada ou d’autres maisons de luxe italiennes. On profite de leur expertise.  Et je trouve beaucoup de plaisir à construire ça. Quand j’avais 22 ou 23 ans, je rêvais de biens matériels, aujourd’hui, je veux que la marque grandisse et devienne globale. J’investis beaucoup, principalement en ressources humaines. Notre croissance a été rapide, et il faut que la structure de l’entreprise se renforce.

Beaucoup de marques ont recours aux célébrités pour les incarner. Vous vous en servez assez peu, pourquoi ?

Je ne suis pas intéressé par l’univers people, des ragots. Je trouve fou que les gens connaissent mieux Kim Kardashian que la situation en Syrie. Nous travaillons parfois avec des artistes, comme Rita Ora. Mais nous ne payons jamais personne pour porter nos vêtements.

Vous faites parfois l’objet de critiques. Comment réagissez-vous ?

Je ne suis pas payé par la presse. Le meilleur compliment possible, c’est la confiance des clients. Je pourrais très bien rendre les journalistes heureux…mais je ne le veux pas ! Et je crois que si ma marque portait un autre nom, et avait été créé par quelqu’un qui n’aurait pas eu mon parcours, je n’aurais pas ces critiques.

Votre dernière folie de fric ?

Une Lamborghini noire. Et un Picasso…Je n’avais pas prévu de l’acheter, mais je me suis réveillé un matin, et il était à moi.


Philipp Plein en chiffres

Combien de boutiques ?

35. 15 sont en construction, et ouvriront d’ici la fin de l’année. Et 4 outlets. 

Combien d’employés  ?

Environ 150. 

La taille de vos bureaux ?

3000 mètres carrés.

Combien coûte un défilé Philipp Plein ?

Plus d’un million d’euros.

 Quel est le prix moyen d’une pièce Philipp Plein ?

Entre 250 et 100 000 euros pour la veste en cuir de crocodile.

Quel est votre best-seller ?

Les vestes en cuir.

Les boutiques qui vendent le plus ?

Sur le continent asiatique, qui représente un peu plus de 20% des profits, et ensuite en Russie, à hauteur de 20%. Ensuite, c’est l’Italie, l’Allemagne, l’Autriche…En Russie, les femmes forment 65% de notre clientèle, et en Asie, les homme sont nos meilleurs clients.

Comment s’équilibrent les ventes des collections hommes et femmes ?

C’est du 50/50.

Quel est le poids de l’e-shop dans vos ventes globales ?

4%. Nous allons y investir.


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