Style Le 16/02/2017 par Felix Besson

Tea-time avec David Sarfati, créateur de 13 Bonaparte

Il est l’un des pionniers du vestiaire progressif homme, de la non-saisonnalité et de la coupe fonctionnelle. Pour sa 8ème collection, David Sarfati présente sa version low-profile d’un homme bien dans sa peau, qui n’a pas besoin de superflu pour avoir de l’allure. Mais il ne suffit pas de faire de beaux atours pour rendre un label crédible : c’est le concept même de 13 Bonaparte qui l’a rendu tangible, et avant tout cohérent. Juste à temps pour l’heure du thé, le créateur nous parle ADN, développement et business-plan.

Par Félix Besson

 

D’où venez-vous?

J’ai grandi dans le vêtement. Mes parents tenaient une boutique de prêt-à-porter, j’étais très vite en contact avec l’industrie textile, ce qui m’a aidé à me positionner par la suite. J’ai commencé ma carrière dans un studio de design de packagings parfum et cosmétique à New York, en tant qu’assistant du directeur artistique. C’était passionnant. Je suis rentré à Paris ensuite, où j’ai fait un master de Mode et Marketing à l’ISEM, puis je suis rentré au service image des Galeries Lafayette. C’était une volonté de travailler dans un grand magasin pour avoir cette vision globale de la mode, travailler avec des acheteurs, architectes… Après cela, j’ai pris mon envol, j’étais rentré à Paris pour ça. Je me suis enfermé chez moi pendant 2 mois, j’ai absolument tout mis sur papier et j’ai commencé avec la ligne de jersey.

 

Vous êtes donc plus un directeur artistique qu’un styliste ?

Absolument. Je me vois beaucoup plus comme un directeur artistique : ce qui me plaît c’est d’apporter une vision à 360° sur l’identité de la marque, son positionnement, le vêtement, qui va le porter, dans quel contexte… Je n’ai d’ailleurs pas de formation stylistique, plutôt business et direction artistique. C’est pourquoi je travaille en duo avec une styliste depuis le début. Nous travaillons sur l’identité que j’ai pensée pour cette marque, qui correspond aussi à son idée de 13 Bonaparte.

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Quels étaient les enjeux d’un point de vue business à la genèse du projet?

Les enjeux business au début étaient d’abord d’avoir un espace de vente, de façon à pouvoir articuler la marque, son identité, son positionnement. J’avais un besoin vital de trouver l’endroit. Il fallait un cadre pour rendre l’action réelle, que ce soit très pragmatique. Et un jour, l’opportunité s’est présentée, à un moment où le Haut-Marais était encore assez accessible. L’endroit était idéal, parce que je savais que j’étais dans un quartier dans lequel j’allais rencontrer ma clientèle, dans une zone internationale où on a une mixité sociale très affirmée. Cet espace me permettait aussi d’avoir mon bureau, mon studio de création. Le bureau est orné des patronages à l’arrière, j’avais vraiment envie de partager mon univers avec le client.

 

Vous vendez une atmosphère, un mode de vie finalement?

Complètement. Je pense qu’aujourd’hui le vêtement est important en lui-même, mais il n’y a pas que ça. On trouve tout un art de vivre derrière, les choses que j’avais envie de mettre en avant,  jusqu’à la création de la bougie, notre propre senteur. C’est vrai qu’avoir eu cet espace, en plein coeur du Marais, c’était une chance. J’ai aussi eu la chance de travailler avec de jeunes artisans qui m’ont suivi sur le projet, ainsi qu’un jeune architecte diplômé de l’Ecole de Lausanne. Le tout avec un budget restreint par rapport à ce qu’ils avaient l’habitude d’avoir avec de grosses marques. Il y a eu un vrai feeling.

 

La cible des débuts est-elle restée la même malgré l’évolution de la marque?

Ce qui est intéressant, c’est que j’ai toujours eu cette idée du trentenaire contemporain, urbain, très discret.  J’ai rencontré cette cible très vite, dès l’ouverture de la boutique, et elle se confirme tous les jours. Mais à ma grande surprise, on s’est rendu compte que la marque attirait aussi d’autres catégories qui avaient les mêmes influences, partageaient les mêmes valeurs, mais étaient un peu plus âgées ou plus jeunes. Le cercle s’est élargi mais toujours de manière cohérente.

 

Quel est votre mode de fonctionnement par rapport aux collections?

Comme je ne travaille pas les saisons, on n’est pas dans une idée de thème par collection. Il n’y a pas de rupture stylistique, pas d’imprimés, de détails éphémères, on est vraiment sur une continuité. Le moodboard de la marque est en fait un vocabulaire, une progression : chaque sujet, chaque recherche de collection se complète. Cette idée de pérennité et d’intemporalité dans la marque se traduit par l’absence des saisons, par des vêtements que l’on peut porter toute l’année, des pièces que l’on reproduit dans d’autres matières et d’autres couleurs. Tout s’est emboité comme un puzzle assez logique.

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Diriez-vous que vous faites partie du mouvement du « slow-fashion »?

On entend beaucoup ce terme Je me suis fondé sur mon identité, et lorsque j’ai tout mis à plat je n’ai pas pu mettre un mot dessus en particulier. Certains journalistes l’ont déjà employé, il est vrai qu’il y a un côté « slow-fashion » dans mes collections. Tout ce que je peux dire, c’est que cela reflète une nouvelle façon de consommer, de s’habiller. Après des années 2000 trop axées dans le paraître, je pense qu’on arrive forcément à un moment ou l’on veut de la discrétion, valeur que je porte depuis toujours. J’aurais fait la même chose il y a 20 ans si j’avais commencé il y a 20 ans. On sent aussi que certaines grosses marques sont en train de réaliser que le fonctionnement mode est brisé, et que les saisons n’ont plus de sens. En ce moment, il y a une réflexion qui est de plus en plus présente, que j’ai commencée depuis le premier jour sur cette base là.

 

Que pensez-vous de ce fait de la réaction des poids lourds du luxe?

Qu’il était temps. Les clients, les consommateurs étaient noyés dans le trop-plein d’informations, de collections. Le délai était trop long jusqu’à l’arrivée en boutique, elles étaient ensuite soldées, renvoyées, et une nouvelle collection prenait sa place. Le client avait perdu ses repères. Je le vois dans ma boutique : lorsqu’on décline des pièces intemporelles non soldées dans d’autres matières, le client est rassuré. Cela instaure une relation de confiance entre la marque et lui, plutôt que de faire un focus sur des pièces éphémères et jetables. C’est très dévalorisant pour la création aussi, ça l’étouffe. Je préfère cette façon de consommer qui est certes différente mais plus réaliste.

 

Concernant votre dernière collection, quel pièce en est la clé de voûte?

La collection 8, la dernière donc, est très axée sur le denim. J’ai une vraie passion pour cette matière, en plus des fournisseurs qui pensent de la même manière que moi. Même chose au niveau des délavages. Sur cette collection j’ai vraiment pu travailler une capsule entièrement en denim. A commencer par un trench façon peignoir, qui a été laissé en denim brut dans le but de garder toute son élégance. Ensuite, j’ai travaillé plusieurs toiles denim. Je suis allé jusqu’à la toile indigo pour les ensembles jogging-sweatshirts, très délavés, très clairs. Je l’ai vraiment travaillée de différentes manières, c’était très intéressant. Je veux vraiment pousser le travail sur cette matière.

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S’agit-il d’une fabrication française?

Les pièces sont fabriquées en Europe. La toile denim vient d’Espagne et les pièces sont ensuite fabriquées et délavées en France.

 

Cette qualité de fabrication fait-elle l’unicité de 13 Bonaparte?

Oui, la qualité est mon cheval de bataille. C’est intrinsèque, elle fait partie du vocabulaire de la marque. Ce qui m’intéresse ce sont les matières, mais aussi la manière de les utiliser. Je suis aussi très intéressé par le détournement : des matières classiques qui peuvent à l’inverse paraître très techniques, ou des matières techniques que l’on peut traiter de manière très classique. Ca me plaît beaucoup.

 

Ces recherches amènent donc une valeur ajoutée au noyau de pièces intemporelles qui servent de base à chaque collection ..

Absolument, je conçois beaucoup la marque comme un vestiaire sans fin. L’idée est vraiment de travailler des pièces qui n’ont pas existé. Bien évidemment il y a ce noyau de basiques, dans le blouson, dans la sur-chemise, dans le pantalon, cette base de modèle que l’on fait constamment avancer et évoluer. Mais à l’inverse, on vient aussi casser l’esprit de ces pièces permanentes, avec de nouvelles pièces que l’on avait jamais travaillées auparavant. Le manteau peignoir par exemple : c’est la première fois que je travaille un col tailleur. La veste en velours jumbo que j’ai adoré concevoir, qui est très intéressante. C’est aussi l’idée de faire avancer le vestiaire tout en gardant ses bases, mais aussi de se laisser la liberté d’explorer au delà. C’est une sorte de vestiaire progressif.

 

Où en est 13 Bonaparte en terme de développement?

On a commencé la marque uniquement en retail. J’avais envie de rencontrer la clientèle et nous avions besoin de ce positionnement pour le client, de présenter la marque dans son propre espace et voir le résultat. Aujourd’hui, nous sommes plus que convaincus que le concept marche. Nous avons distribué la marque sur le marché japonais, l’année dernière exactement, ça a été le premier pas vers le wholesale. Suite à cette première expérience, nous avons décidé, en juin 2015, de travailler avec le salon « Man », installé à Paris et à NY. Il était intéressant de voir la réaction des professionnels du milieu par rapport au concept de la marque, par rapport à cette non-saisonnalité, le système de livraison inédit. Le tout a été très bien reçu.

 

S’agit-il de rejoindre, à votre manière, le rythme plus calme adopté par certaines grandes maisons?

Absolument. Ce qui est intéressant d’un point de vue développement et business est qu’avec trois ans d’exclusivité boutique, on a capitalisé ce temps sur la façon de façonner ce business-model. C’est une sorte de laboratoire, qui m’a permis de comprendre ce que je pouvais aller présenter aux professionnels. Le fait des facilités de livraison, des déclinaisons possibles de chaque pièce en plusieurs matières et couleurs, de façon à ce que les acheteurs puissent créer leur propre assortiment. J’estime qu’un acheteur à New York ne va pas réfléchir de la même manière qu’un acheteur à Sydney en fonction du facteur climat notamment. La proposition était pour moi assez cohérente et suffisamment façonnée pour pouvoir présenter des nouveautés.

 

Peut-on parler d’un certain rationalisme du vêtement?

Oui, rationalisme qui matche très bien d’ailleurs avec le Japon. On l’a vu à l’ouverture de la boutique, mais aussi durant les Fashion Weeks où les professionnels se pressaient plus qu’avant pour venir voir la marque. Le Japon est un marché auquel je suis très attaché même si je n’y suis encore jamais allé. Je suis également très attaché aux Etats-Unis, car j’y ai vécu, et parce que je suis très proche du pragmatisme de la culture américaine. Avec le salon Man NY, nous avons commencé à nouer des contacts avec certains grands magasins américains et autres online stores. S’introduire sur le marché prend du temps, lorsqu’on s’attaque au marché américain on parle d’un tout autre niveau. Mais la marque suscite un véritable intérêt de la part du marché américain et j’en suis ravi. On espère bientôt avoir notre propre structure sur place.

13 Bonaparte, 2bis rue de Normandie, 75003 Paris

www.13bonaparte.com

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