Style Le 13/11/2015 par weboptimum

Denim : la saga du 501

Il a fallu presque un siècle pour que les pantalons en jean inventés et commercialisés à San Francisco par Levi Strauss rejoignent la culture populaire. Cette rencontre, on la retrouve dans la pub, dans la musique, au cinéma. C’est sans doute grâce à ces échanges que le 501 est (re)devenu rien moins que le vêtement le plus iconique de l’histoire. 

Par Jean-Vic Chapus

 

Qui se rappelle encore en 2015 Nick Kamen, son look de minet rockabilly, ses lèvres charnues, son statut de toy boy de Madonna ? On ne va pas se mentir, pas grand-monde. A moins d’avoir consciencieusement transféré sur son iTunes l’intégrale des années Top 50, pas certain que son seul et unique tube, Each Time You Break My Heart, ait laissé tant de souvenirs impérissables dans l’histoire de la pop. En revanche, Kamen a fait don au monde de l’entertainment d’une image autrement plus marquante que celle du proverbial minet anglais cintré dans un blouson blanc et gesticulant sur de la pop synthétique. L’image ? Celle d’un torse nu musclé exposé aux regards dans une laverie automatique. Possible que ce torse reste encore, trente ans après, le coup de génie marketing de la firme Levi’s.

Flashback en 1985. Le brushing est à la mode. Porter un costume blanc Armani sur son tee-shirt est recommandé si l’on veut avoir l’air dans le coup ou ressembler à Don Johnson dans Miami Vice. C’est l’année du carton de Retour vers le futur au cinéma, des premiers ordinateurs Atari 520ST. Forcément, à cette époque, Levi’s et ses jeans qui sentent l’Amérique poussiéreuse et ses grands espaces n’ont pas vraiment le vent en poupe. Certains allant même jusqu’à juger le 501 de Levi’s (plus de 50 % des ventes de la marque, ndlr) comme le comble du ringard. John Hegarty, cofondateur de l’agence de pub TBWA, lui, ne croit jamais aux cas désespérés quand il s’agit de marketing et d’image. Depuis qu’il s’est lancé en trio avec BBH (pour Bartle, Bogle & Hegarty, ndlr) l’homme s’est même spécialisé dans les coups risqués.

Quand la direction de Levi’s vient le solliciter, ce dernier a l’intuition qu’on peut replacer à l’agenda du cool la marque de pantalon en denim promue, courant 1853 à San Francisco, par Levi Strauss, Juif bavarois émigré aux Etats-Unis. Mais quel cheval de Troie utilisera Hegarty pour faire passer son concept ? Le 501, évidemment. Mark Robinson, journaliste au Sunday Times, en charge des pages business : « Le coup de génie de ce spot, c’était d’associer Levi’s à toute la mythologie américaine des 50s qui va avec et de la rendre encore plus glamour que l’imagerie européenne et new wave qu’on voyait défiler dans les clips diffusés sur MTV ! » Vrai. Le spot « Launderette » n’évite aucun cliché.

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D’abord un gros plan sur le capot d’une Cadillac. Ensuite vient le tube soul de Marvin Gaye, I Heard it Through the Grapevine. Enfin, un mannequin (Nick Kamen donc), dont la ressemblance avec James Dean et Elvis Presley est étudiée, entre dans une laverie automatique. La suite est connue. D’entrée, il tombe le tee-shirt, le jeans serré à la taille par une ceinture en cuir vieilli, puis va s’asseoir dans un coin, à la coule et en boxer blanc. Tout ça sous le regard affolé de femmes qu’on jurerait sorties de la série Mad Men. Vintage, sexy, mais surtout efficace.

Dès le lendemain de la première diffusion du spot, le 26 décembre 1985, des milliers de lettres affluent au siège de l’entreprise, qui interrogent à la limite de l’hystérie « Mais comment recevoir une photo dédicacée du jeune homme de votre pub ? » En quelques jours, les ventes de Levi’s 501 ont bondi de… plus de 800 %. Les boutiques qui proposent le vieux denim sont en rupture de stock. Mieux, deux ans après ce coup de boost, Levi’s a multiplié son chiffre d’affaires par 20. Du coup, voilà la bonne vieille paire de jeans avec une pièce en cuir cousue au niveau de la taille relancée dans la pop culture. Le Levi’s 501 continuera sur cette voie en proposant à tout ce qui est jugé cool et pop par la jeunesse de s’associer à la marque dans un de ses spots.

De Brad Pitt à une peluche

En 1991, la firme saura flairer le potentiel glamour d’un jeune comédien nommé Brad Pitt. En 1999, changement de stratégie avec le spot purement techno mettant en scène la peluche jaune Flat Eric et son créateur Quentin « Mr Oizo » Dupieux, DJ, musicien et bientôt réalisateur. Là encore, le spot repart couronné d’un prix du meilleur film publicitaire à Cannes et la marionnette voit sa cote exploser avec 2 500 sites Internet qui lui sont consacrés, des couvertures de magazine, 2,7 millions d’exemplaires du single Flat Beat vendus et même des projets d’émissions télé sur MTV.

Pour la marque, l’effet est évidemment bénéfique. Quant aux musiques qui illustrent ces publicités, c’est encore mieux. Au vrai, cela équivaut même à être choisi pour écrire le générique d’ouverture d’un James Bond. Quitte à ce que le succès soit météorique et que l’association avec Levi’s 501 ressemble à un baiser de la mort. C’est ce qui est arrivé en 1994 aux Britanniques pop grunge de Stiltskin quand Levi’s utilisera leur single Inside. Certes le morceau sera numéro 1 dans tous les hit-parades mais, un an plus tard, le groupe se séparera en avouant « ne pas avoir supporté la pression de ce succès généré par une pub en plus ! » Mais quel était vraiment le statut du 501 avant que ce pantalon ne redevienne l’emblème du cool ? Pour le savoir, il faut rembobiner à l’époque de la ruée vers l’or.

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Les deux chevaux qui tirent

En 1853, Loeb (bientôt rebaptisé Levi, ndlr) Strauss, Juif bavarois né à Buttenheim, décide de tenter sa chance dans le commerce en important boots, vêtements, mouchoirs et parapluies. Pour cela, il s’installe à San Francisco. Son idée : ouvrir sur la côte Ouest une succursale de la boutique new-yorkaise J. Strauss Brother & co tenue par son frère Jonas. Dans un premier temps, il domicilie son affaire du côté de Sacramento Street, près du front de mer, histoire de réceptionner au mieux la marchandise que lui expédie le frangin. Même si les affaires marchent et que Levi Strauss est soutenu activement par la communauté juive locale, son entreprise ne produit rien par elle-même et vivote.

Il faut attendre 1872 et la rencontre avec Jacob Davis, tailleur du Nevada et client régulier de la boutique de Strauss, pour que les choses changent. Davis a en effet mis au point un procédé pour riveter les coins des poches sur les pantalons d’homme en toile de denim qu’il produit. Un an plus tard, les deux s’associent autour de cette invention qui deviendra le 501. Objectif : écouler un maximum de pièces auprès des chercheurs d’or. Tracey Panek, historienne d’origine néo-zélandaise spécialisée sur les produits Levi’s, dégaine : « Selon Levi Strauss, ce pantalon était l’habit idéal pour les gens de la classe laborieuse, mais comme ce n’était pas son monde, il n’en portait jamais. » En revanche, il savait communiquer autour. Quitte à inventer le buzz : pour prouver la résistance de son 501, Strauss décide d’organiser un événement public d’un genre, disons, particulier : attacher le pantalon en jean à deux chevaux qui galoperont dans deux direction différentes, histoire de prouver la robustesse de son produit.

La suite de l’histoire est connue. C’est celle d’un vêtement né dans l’Amérique des pionniers qui, petit à petit, devient l’emblème de la jeunesse. Celui du rock et de ses icônes comme Elvis Presley, les punks des Ramones, les DJ’s, les hipsters de Brooklyn qui ne sortent jamais sans leur jus bio. Tracey Panek a la conclusion : « Ce n’est pas un hasard si tout a commencé à San Francisco. Toutes les contre-cultures qu’a connues l’Amérique – les hippies, les mouvements anti-Vietnam, etc. – sont nées du côté de la Bay Area ! »

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Levi’s en chiffres:

 

1853: naissance de la plus ancienne marque de jeans au monde

50% des ventes Levi’s sont des 501

477 000 réponses à la question: « Comment laver son 501? »


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