Style Le 03/11/2015 par weboptimum

Coulisses : Alain Figaret, la filière italienne

Saviez-vous que la Lombardie tire sa réputation autant de la beauté de ses lacs que de l’excellence de ses entreprises locales ? Car outre l’intérêt touristique et culturel, cette province du nord de l’Italie recèle, comme un quasi-secret, les meilleures manufactures de tissus au monde. Un gisement d’enfer pour la marque Alain Figaret qui en a su en faire, depuis des années et pour la presque totalité de sa production, son principal fournisseur.

Par Anne Gaffié

Le top du top en matière de chemiserie, pour le travail de la soie des cravates, des foulards et des pochettes… Cela se voit en boutique. A la qualité des produits et à leur excellent rapport qualité-prix. Des boutons – uniques, en nacre blanc profond de Polynésie, de Tahiti ou d’Australie, ou le fameux « Pinstada » en nacre noire – jusqu’aux tissus, on sent bien chez Figaret les meilleurs millésimes. D’ailleurs, on dit ici que les produits se bonifient avec le temps. Plus les chemises seront lavées, mieux leur qualité se révèlera, comme de vieux draps d’autrefois. Incroyable coton Sea Island, dont le fil creux comme une paille laisse circuler l’air, exclusivement produit en Jamaïque et à la Barbade car nécessitant ensoleillement, humidité et souffle des alizés. Exceptionnel « Giza 87 », coton d’Egypte en double retors cultivé le long du Nil dans des plaines fertiles et des conditions climatiques optimales, lui donnant une longueur de fibre et une main soyeuse uniques au monde. Une valeur ajoutée inestimable quand on sait combien il devient difficile aujourd’hui de préserver l’excellence et la dextérité du fait-main. Et justement l’occasion pour Ludovic Le Boeuf, le PDG de la marque, de le rappeler à son équipe « sur-mesure », en un road-trip dans ce saint des saints transalpin.

C’est entre Côme et Bergame, dans la plaine du Pô, que l’on a su préserver un savoir-faire unique, riche de l’héritage de plusieurs générations, pour le tissage, l’impression et la fabrication des soies et des cotons. Et l’imposer au reste du monde au cours du xxe siècle. Tout le monde ou presque dans la région respire au rythme des manufactures. Filateurs, tisseurs, dessinateurs, chasseurs de soie, intermédiaires. Fabricants de tissus, fabricants de métiers à tisser. Les premiers aident les seconds, qui aident les premiers. Tous unis autour de la recherche technologique. Ici, en Lombardie, même les vallées et les villages portent le nom des entreprises familiales ! Les patrons locaux sont des figures d’importance, comme Enzo Molteni, « dottore » ès cravates et président du Royal club d’aviron de Côme, mondialement célèbre.

Ici, ces conquistadors ont force de loi. Chez Ratti, à quelques kilomètres de là, c’est une femme, Donatella, qui dirige aujourd’hui les soieries éponymes. Dans un monumental ensemble de béton, qui contraste avec les vieilles pierres de Côme, né de l’audace de son père et fondateur Antonio Ratti dans les années 1950, travaillent 600 des meilleurs artisans au monde en matière de soierie. La société est cotée en Bourse, et fait désormais partie du groupe Marzotto. La maison Figaret s’y fournit depuis longtemps, pour 80 % de ses cravates, dont la plupart en imprimés exclusifs. Tout y est gigantisme. Des piles de bobines de soie aux mille couleurs, des machines à tisser par dizaine, donnent naissance aux plus beaux jacquards de soie. A la lenteur de l’opération, imposée par l’extrême finesse des fils, s’oppose le bruit les machines lors du passage des navettes sur les métiers à tisser. Dans des bâtiments annexes, tout aussi vastes, se déroulent les impressions.

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Selon trois techniques différentes, de la plus ancienne à la plus visionnaire. L’impression par cadre, ancestrale, est surprenante. La soie est déroulée sur d’interminables tables au-dessus desquelles se déplacent lentement les cadres à gravure. Un mouvement mécanique y dépose tour à tour chaque couleur, en une pâte liquide. A chaque couleur son cadre, et autant de cadres que de couleurs. Sept ou huit couleurs sont fréquentes, mais on peut atteindre les 18voire les 45 ou 48 ! Le calage des cadres doit alors être d’une infinie précision, un mauvais passage et tout est à reprendre à zéro. Autre technique, l’impression au rouleau, où les cadres sont remplacés par des cylindres dans lesquels on injecte des pigments sous forme liquide. C’est la technique de prédilection des motifs « All over » et des grands tirages. Troisième et dernier procédé, le plus moderne et le plus rapide, l’impression « Inject » avec d’énormes imprimantes laser.

C’est un domaine où, contrairement à ce que l’on pourrait penser, le progrès technologique tient une place importante. Comme à Albino, le village d’à côté, où siège depuis 1876 la manufacture Albini. Aujourd’hui dirigée par la cinquième génération de la famille, approchant les 2 000 employés, elle regroupe quelques-unes des plus grosses marques mondiales de coton. Albiate 1830, David & John Anderson (qui contrôle à elle seule 95 % de la production mondiale de coton Sea Island) et Thomas Mason entre autres. La maison Figaret en est le premier client français. C’est un peu la « Mecque du coton ». Ici, la maison fabrique ses propres fils. Le coton y est filé, teint, stabilisé, calibré puis tissé. Parfois jusqu’à la prouesse technique, au 300/2, voire au 330/3. 84 kilomètres de fils seront alors nécessaires pour réaliser une chemise, avec des fibres parmi les plus longues du monde pouvant atteindre jusqu’à 4 cm, issues des cultures du delta du Nil. Les machines chantent différemment suivant les tissages. Un fil qui casse, et c’est le monitoring qui s’affole. L’alarme qui se déclenche. On touche au luxe absolu.

A quelques kilomètres de là, pendant ce temps, se travaille l’infiniment petit. Chez Gritti, ce sont Ermanno et Paolo, père et fils, qui sont aux commandes de l’entreprise familiale fondée en 1924. La maison doit sa réputation mondiale à ses boutons haut de gamme de toutes sortes – os, corne, noix de coco, corozo (ivoire végétal qui provient du palmier, ndlr), galalithe (pierre de lait, issue de la caséine), caoutchouc, métal… Ses créations en nacre représentent encore aujourd’hui 60 % de la production. Ici, le procédé de fabrication est resté le même. Lavée, poncée, lustrée sur les deux faces, la nacre provient principalement du torcha, un coquillage sauvage conique de Nouvelle-Zélande, ou exceptionnellement de la « Pinctada Maxima », l’huître qui produit également la perle sauvage d’Australie, de Polynésie ou des Philippines. La coquille est ensuite forée de petits pions qui seront à leur tour travaillés, percés. Avant d’être gravés. Et de venir remplir les tiroirs de la maison Figaret, l’une des rares marques internationales à avoir su imposer un contrôle total de ses fournisseurs, production et circuit de distribution. CQFD.

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Alain Figaret en chiffres:

10 microns: le diamètre du fil de soie le plus fin de la maison Ratti

22 cocons sont nécessaires pour 1 000 m de fil de soie le plus fin

2 000 coloris répertoriés au comptoir de fils de Albini/Thomas Mason

84 km de fils pour confectionner une chemise en 300/2

1 000 tonnes de coquillages par an utilisées chez Gritti pour les boutons


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