Horlogerie Le 31/08/2015 par La rédaction

Coulisses : Fossil, l’inconnu n°4 mondial

Vous n’en avez jamais entendu parler, et pourtant ce groupe texan produit 30 millions de toquantes par an ! Créé il y a trente ans par deux frères dont il n’existe aucune photo, il est longtemps resté discret, pour ne pas dire tapi dans l’ombre. Aujourd’hui, Fossil nous ouvre les portes de ses ateliers horlogers helvètes.

Par Aymeric Mantoux

 

Plus « normcore », tu meurs. A une heure de Mulhouse par l’autoroute, dans la riante ville de Bienne, traversée par une route nationale très fréquentée, une zone industrielle habitée de cubes de verre et d’acier. Au pied de la montagne enneigée, on se fraie un chemin entre des immeubles ultracontemporains surmontés de la couronne en néon jaune surlignée d’un « Rolex » vert – nous en avons dénombré près de dix. Chez Fossil, pas de logo, pas de panneau. La discrétion, ça se cultive. Puis on aperçoit une vague pancarte qui indique « Antima, Fossil group ». On brûle. C’est un petit édifice anonyme de deux étages, tout neuf, immaculé, qui pourrait être l’extension de l’immeuble voisin de SAP, l’éditeur no 1 mondial du logiciel. « Cela fait partie de notre culture, note Martin Frey, le directeur général pour l’Europe. Les deux fondateurs du groupe, les frères Kartsotis, sont des gens extrêmement discrets. Ils ne donnent pas d’interview, il n’existe aucune photo d’eux sur Internet. La star ici, c’est le produit et les marques pour lesquelles nous travaillons. Pas les individus. Chez Fossil, il n’y a pas de storytelling, de légendes de management. »

Doubler la taille du groupe en cinq ans

Pourtant, il doit bien y avoir un secret derrière l’insolente réussite de ce groupe, coté au Nasdaq à New York, et qui a doublé de taille en cinq ans, passant de 1,5 à plus de 3 milliards de dollars de chiffre d’affaires, avec 12 à 30 % de croissance annuelle. « L’objectif, poursuit Frey, est à nouveau de doubler dans les cinq ans à venir. » Déjà n° 4 mondial de l’horlogerie, derrière le géant Richemont et devant LVMH, le groupe Fossil n’ambitionne pas de grimper les marches du podium. Juste de poursuivre sa montée en gamme et sa diversification. Historiquement présent dans les montres et la distribution, mais également dans la maroquinerie et le prêt-à-porter sous sa marque Fossil, le groupe a acquis, en 2012, la marque Skagen (une enseigne inspirée du normcore et du design danois) et a développé un important portefeuille de licences de marques pour lesquelles il crée des lignes de produits essentiellement horlogers.

Qu’on en juge : les montres Michael Kors, c’est eux, DKNY aussi. En tout, 13 grandes marques internationales leur font confiance. Mais la crème de la crème de la production, c’est le « Swiss made » comme la collection Burberry « The Britain » ou encore Emporio Armani depuis 2012. « Le Swiss made ne représente que moins de 5 % de notre activité, confie Frey, mais stratégiquement, c’est là que nous voulons aller. C’est du long terme. Nous avons une vision. Nous n’attendons pas une explosion dans les douze mois. » C’est ce que l’on appelle une stratégie ou on ne s’y connaît pas.

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Le normcore version horlo

Antima figure au cœur de cette stratégie industrielle. A l’origine, il s’agit de l’un des tout premiers ateliers d’échantillonnage, d’ingénierie et de prototypage de la région de Bienne. Lorsqu’il l’achète en 2002, le groupe Fossil en fait son fer de lance pour développer son activité horlogère « Swiss made », par opposition à l’Inde ou à la Chine, où est fabriquée la majeure partie de ses montres. « Pour devenir une entreprise horlogère mondiale, il nous fallait franchir cette étape », note Bernd Mossbach, chef des ventes France. Avec ce premier pas vers l’horlogerie de qualité, Fossil peut enfin proposer des montres de fabrication helvète, de conception artisanale, en misant sur l’innovation et la réactivité. Ces deux dernières années, un nouveau bâtiment est sorti de terre pour regrouper designers, ingénieurs et horlogers.

Du développement produit jusqu’à la production (l’assemblage final des mouvements étant effectué dans une autre unité du groupe à Lugano), en passant par les prototypes des boîtiers, le contrôle qualité et le shipping, tout est désormais réalisé in house. « On fait les plans 3D, le line art, les vues 2D, les dessins techniques, détaille Christelle Vaccari, senior director Design & Development. On passe aussi beaucoup de temps sur les coloris, avec des recherches assez poussées, sur papier et en échantillons. Ici, on peut aussi réaliser toutes les maquettes en laiton. En moins d’une semaine, on passe du dessin à la maquette prototype. Du coup, on maîtrise mieux le suivi industriel et les fournisseurs. On sait ce qu’on veut. Pour la collection Burberry « The Britain », on a réalisé 40 prototypes et pour chaque taille, nous avons édité un proto. » Mais alors, pourquoi ce profil bas ?

L’explication est somme toute assez simple. A la tête d’un important portfolio de licences de grandes marques, Fossil a longtemps eu intérêt à vivre caché pour vivre heureux. Les créateurs apprécient que ses fournisseurs demeurent dans l’ombre. « Nous respectons leurs marques. Nous les aimons, nous les comprenons et nous les soutenons. » Voilà pourquoi un consommateur ne saura jamais que Fossil réalise les montres pour Armani ou Burberry. Car les clients sont avant tout les grandes maisons de luxe. Ainsi, la paternité de la ligne « The Britain » est officiellement attribuée au créateur de Burberry, Christopher Bailey.

« Nous lui avons juste donné les outils techniques pour lui permettre de concrétiser son dessin », explique Christelle Vaccari avant d’ajouter : « Il y a un attrait des consommateurs pour des montres de marque, de mode, mais avec des mécanismes de valeur. » Accroissement de la demande, de la concurrence industrielle… autant de facteurs qui ont poussé Fossil à investir des dizaines de millions d’euros dans ses unités de production « Swiss made ». Comme chez STP qui, depuis trois ans, fait partie du groupe et fournit ses propres mouvements à Fossil tel le « STP-1-11 », un trois-aiguilles avec fonction date, présent dans les trois principales collections assemblées chez Antima. En développant ce segment de moyenne gamme autour de centres de fabrication exclusifs, Fossil écrit un nouveau chapitre de son histoire.

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Une success story fondée sur le vintage

Jusqu’à présent, le succès commercial du groupe Fossil s’appuyait sur son inspiration vintage et ses produits de moyenne gamme. Optimiste, fun, il s’est abreuvé depuis Dallas, siège du groupe, à la culture américaine, réalisant des séries aux couleurs des principales équipes de la NFL, la fédération de football américain. Si la collection ne compte que huit montres la première année, on en dénombre désormais plusieurs centaines chaque saison, dans toutes les gammes de produits. Les marques de mode les plus respectées, les plus grands créateurs travaillent avec Fossil : Adidas, Armani, Burberry, Diesel, DKNY, Karl Lagerfeld, Marc by Marc Jacobs, Michael Kors, Michele, Relic, Tory Burch.

Une diversité qui est l’une des clés de son succès, comme sa maîtrise de la distribution, puisque le groupe possède en propre 400 magasins à son enseigne, et que ses produits sont largement diffusés dans plus de 20 pays par 4 000 revendeurs ! Historiquement très fort aux Etats-Unis, où il réalise encore 50 % de son chiffre d’affaires, Fossil a désormais les yeux de Chimène pour l’Asie (15 % du CA) et plus encore pour la Chine. « L’horlogerie made in Swiss suscite le respect partout dans le monde, martèle Frey. Les Asiatiques aiment les montres, c’est une des raisons de notre intérêt pour le “Swiss made”. Nous sommes persuadés que c’est l’avenir. 70 % des Chinois en veulent une ! »

Doubler la taille du groupe en cinq ans

Fossil ne connaît pas la crise. Au contraire, c’est comme si le groupe était stimulé par elle. Jusqu’en 2009, il végétait à 1,5 milliard de dollars de chiffre d’affaires. Il a plus que doublé depuis et n’entend pas s’arrêter là. Pour ce faire, il maintient des coûts d’exploitation faibles et mise sur sa réactivité et sa créativité pour mieux s’adapter aux modes et aux retournements de conjoncture. Convaincu du fort potentiel à venir sur le segment des prix moyens dans le monde, le groupe entend ajouter des collections « Swiss made » aux marques de son portefeuille, développer de nouvelles licences. Et s’il mise avant tout sur l’intégration verticale et la croissance interne, il ne s’interdit pas de racheter des marques déjà établies.

En 2015, Fossil inaugurera un nouveau siège de 2 500 m2 à Bâle. Le bâtiment, qui regroupera 350 collaborateurs, est signé par deux « starchitectes » (Steinmann & Schmid), un premier pas vers une normalisation ? Martin Frey a ses recettes : « La clé, c’est le travail d’équipe. Je ne me considère pas comme le boss de l’Europe, ou le chef du HQ. Nous sommes juste le support, et le supply, c’est une question d’attitude. Les gens chez nous sont à la fois très dédiés et connectés aux buts et à la culture du groupe. » Cela dit, en mars à Bâle, à l’occasion de la grand-messe annuelle de l’horlogerie, Fossil présentera des éditions limitées pour Burberry et Armani de 1 500 à plus de 60 000 euros, les prix les plus élevés qu’il ait jamais produits. Et Fossil n’entend pas s’arrêter en si bon chemin…

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Fossil en chiffres:

15 000 collaborateurs dans le monde

12,5% de croissance en 2014

400 000 montres « Swiss Made » (marques Zodiac et Burberry)

70 distributeurs dans le monde

1994: date de l’entrée en Bourse

23 filiales

3 sites de production (Suisse, Inde et Chine)

200 designers

18 mois : entre le coup de crayon et la montre en magasin

4 secteurs d’activité: montres, bijoux, maroquinerie et prêt-à-porter

540 magasins dont 400 en propre dans 20 pays


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