La France a parfois raison de faire la belle, avec sa cuisine estampillée du tampon de l’Unesco, ses chefs multiétoilés, ses adresses rutilantes… Hélas, elle a oublié que ses voisins transalpins ne sont pas en reste : tour d’horizon des plus beaux cadors.
Il doit y avoir une dimension perfide dans les rapports de la cuisine entre la France et l’Italie. Comme une sinistrose à vouloir enfermer une cuisine magnifique dans des raccourcis désobligeants : pâtes et pizzas, et basta ! Pourtant, la cuisine italienne est superbe. C’est une cuisine de mamma ; celle du don, de la générosité, de la clarté, multiple. Souvent en France on parle de cuisine « italienne », alors qu’à Tokyo, on précise : vénitienne, sarde, sicilienne, milanaise… C’est sans doute pour cela que nous sommes secrètement amoureux de cette cuisine. Notamment les chefs, ils s’en inspirent, retrouvent leur candeur et leur bonne humeur. La cuisine italienne s’est longtemps cru assujettie au regard du Michelin, et des guides. S’il reste encore des adresses au charme européen, les chefs italiens se sont depuis une dizaine d’années joliment émancipés. Ils sont forts, beaux, et percutent à fond. D’où sans doute cette crainte absurde, ce complexe inutile. Il s’agit plutôt d’aimer la cuisine italienne,
car elle nous veut du bien, comme on dit là-bas pour dire je t’aime.
Fulvio Pierangelini
L’un des cuisiniers cultes de la cuisine italienne, se promenant depuis une dizaine d’années avant sans doute de réapparaître d’ici peu, entre Rome et Paris !
Formation
Sciences Po Rome, puis travail d’autodidacte avant d’aller puiser des classiques chez Roger Vergé, au Moulin de Mougins.
Mot-clé
« J’aime toucher les produits, les caresser. Je n’utilise aucun artifice car je recherche avant tout à prendre l’âme du produit. »
Un livre
Fulvio Pierangelini, Il grande solista della cucina italiana, par Raffaella Prandi (16 €, Gambero Rosso).
Matière
Les tomates de ses raviolis al pomodoro, concoction de dingo sous l’apparence de la simplicité.
Plat culte
Sa passatina di ceci con gamberi, une purée de pois chiches avec de grosses crevettes. Biblique.
Provocation
Il y avait une plaque fixée à l’entrée de son restaurant de San Vincenzo : « Interdit aux chefs et aux journalistes ».
Passage à l’acte
Aujourd’hui, Fulvio Pierangelini officie comme chef conseil (et souvent exécutant) auprès de la chaîne Rocco Forte (Bruxelles, Saint-Pétersbourg, Rome, Verdura Resort
en Sicile, Londres…).
www.roccofortehotels.com
Massimiliano Alajmo
Déployée sur trois spots – Padoue, Venise et Paris –, la famille Alajmo et le frère prodige Massimiliano fait partie de cette Italie virevoltante, tapant à tout-va.
Formation
Elève des chefs Michel Guérard et Marc Veyrat. Avec ça, on peut voyager loin.
Mot-clé
Fluidité. « S’abandonner à la fluidité, c’est s’ouvrir à la vraie beauté. Se laisser emporter par le silence d’une foi réconfortante. »
Un livre
Fluidità, Sergio Coimbra/Alajmo Ed, 150 €. Une somme (une tonne, enfin presque 4,2 kg)
Matière
L’eau ! « C’est l’ingrédient qui m’intéresse le plus. Il intensifie les goûts à travers la dilution, les transforme, les régénère. » Voir son bouillon d’or, avec sa feuille d’or à 24 carats, légumes, viandes, épices, safran. Pfou !
Plat culte
Le risotto au safran et à la poudre de réglisse.
Provocation
S’embarquer dans une pizza molle, la « pjzza » avec un « j ».
Passage à l’acte
A Venise, Quadri (1775), Piazza San Marco, 121. A Paris, le Caffè Stern, 47, passage des Panoramas, 2e et à Padoue, Le Calandre, via Liguria 1, Sarmeola di Rubano.
Tél. : + 39 0496 30303,
www.alajmo.it.
Menus : entre 160 € et 225 €.
Et son annexe bistrot Il Calandrino (environ 50 €)
Massimo Bottura
A Modène, il fallait bien du courage pour déconstruire la tradition et se faire taillader les chevilles par les puristes. Résultat, trois étoiles au Michelin et du caractère.
Formation
Auprès de sa mère, ensuite Alain Ducasse, au Louis XV, Monte-Carlo, et Ferran Adrià, à El Bulli.
Mot-clé
Liberté d’expression. « Exprimer ce que l’on est ne passe pas forcément par du caviar, mais par une pomme de terre ou une croûte de parmesan. »
Un livre
Ne jamais faire confiance à un chef italien trop mince (50 €, Phaidon).
Matière
La mortadelle dans son fameux sandwich.
Plat culte
Le bollito misto non bouilli !
Affront
« Il y a trois choses avec lesquelles il ne faut pas plaisanter en Italie : le football, le pape et les recettes de sa grand-mère. J’ai connu des soirs à zéro couvert, ma créativité m’a attiré une certaine méfiance. J’ai été attaqué par une émission de télévision très populaire qui est venue visiter mon restaurant en caméra cachée pour expliquer que j’offensais la cuisine italienne ! En 2000, une critique assassine du chroniqueur gastronomique le plus influent de la Botte a mis mon restaurant en danger. »
Passage à l’acte
Restaurant Osteria Francescana, via Stella 22, 41121 Modène.
Tél. : + 39 0592 23912.
Comptez 100 € et plus.
www.osteriafrancescana.it
Nadia Santini
Maison de haute tradition restant dans le sillon rigoureux de la région et du Michelin. Une des valeurs fortes et immuables de l’Italie.
Formation
Dans les cuisines de Dal Pescatore en 1974, avec Teresa, la grand-mère de son mari.
Mot-clé
La maison n’aspire pas à faire de vagues mais à rester « pleine de caractère et de charme, courtoise, paisible, un chemin pavé de découvertes et d’explorations infinies ».
Un livre
La cucina di Nadia e Antonio Santini (25 €, Giunti).
Matière
Le coulis de citrouille, de minuscules raviolis à la viande dans le bouillon.
Plat culte
Tortellini farcis avec citrouille, amaretto, parmesan et mostarda.
Provocation
Ce n’est pas le genre de la maison, tout au plus les tortelli di zucca sont-ils maintenant servis avec moins de beurre et moins de parmesan, histoire d’adhérer à la clarté
du siècle.
Passage à l’acte
Restaurant Dal Pescatore, 46013 Canneto Sull’Oglio, à Mantoue (Lombardie).
Tél. :+39 0376 723001.
www.dalpescatore.com.
Enrico Cerea
La grande institution italienne familiale depuis quarante-cinq ans, affiliée aux Relais & Châteaux, et déroulant depuis des lustres, en Lombardie, une cuisine hautement civilisée. Trois étoiles au Michelin.
Formation
Passé chez Heinz Winkler à Monaco, Sirio Maccioni à New York, Georges Blanc à Vonnas et Ferran Adrià à Roses.
Mot-clé
« Créateur ».
Un livre
Riso, par Enrico et Roberto Cerea (69 €, Reed Gourmet).
Matière
La grande passion d’Enrico, les desserts. On les trouve sur sa carte mais également dans sa pâtisserie familiale à Bergame : Cavour 1880.
Plat culte
Gran fritto misto con frutta e verdura.
Provocation
L’un des premiers à se lancer dans les poissons crus.
Passage à l’acte
Restaurant Da Vittorio, membre des Relais & Châteaux, Via Cantalupa 17,
24060 Brusaporto (Lombardie).
Tél. : + 39 0356 81024.
www.davittorio.com.
Riccardo Camanini
Formé lentement et longuement, ce quadragénaire déploie une cuisine de haute voltige à prix cléments dans son propre restaurant.
Formation
Diplômé de l’Hospitality Technical Institute de Dario Boario Terme à Brescia, avant une collaboration avec l’école de Gualtiero Marchesi.
Un livre
En instance.
Matière
Le lac de Garde est l’un des piliers de sa cuisine : poissons du lac, fruits et légumes, produits laitiers, de la vinification, huile vierge extra DOP, agrumes.
Plat culte
Les spaghettoni al burro e lievito di birra (au beurre et à la levure de bière).
Provocation
Quitter un lieu de rêve (la villa Fiordaliso) pour s’installer tout seul.
Passage à l’acte
Restaurant Lido 84, Corso Zanardelli 196, 25083 Gardone Riviera (Lombardie).
Tél. : +39 0365 20019.
www.ristorantelido84.com.
Menu dégustation à 48 €.
Niko Romito
L’une des tables tombées du ciel, au milieu des Abruzzes, limpide et pastorale. Elliptique et dardant droit au cœur. Un bonheur hors du temps.
Formation
Après des études d’économie à l’université de Rome, passage chez Antonio Sciullo, un autre Abruzzais qui connaissait son père ; chez Salvatore Tassa; les frères Roca à Gérone en Catalogne, puis avec Valeria Piccini au Caino, à Montemerano, en Toscane.
Mot-clé
La soustraction par l’addition : « Parfois, il faut passer par l’accumulation, la stratification d’éléments et de passages, encore et encore, presque de couches géologiques, pour parvenir à cette exaltation du goût naturel. »
Un livre
Dix leçons de cuisine, écrit avec Laura Lazzaroni (10 €, Giunti).
Matière
La misticanza alcoolisée (herbes sauvages et gin) pour débuter le repas en beauté.
Plat culte
L’artichaut rôti.
Provocation
Ne pas trop parler, faire.
Passage à l’acte
Restaurant Reale, Piana Santa Liberata, 67031 Castel di Sangro, Aquila (Abruzzes).
Tél. : +39 0864 69382. Chambres dans l’ancien monastère.
ww.ristorantereale.it.
