Entertainment Le 04/02/2016 par Felix Besson

TBT : Rencontre avec Benjamin Millepied

A l’annonce de son départ de l’Opéra de Paris, on s’imagine qu’un mythe part, mais une légende reste entre les murs du Palais Garnier. Benjamin Millepied, ancien directeur de la danse du plus bel opéra de la capitale, quitte aujourd’hui ses fonctions à la grande surprise générale. L’Optimum revient sur l’entretien avec son cover-boy d’avril.

Par Manou Farine

 

Millepied, mille vies… Acteur ? Chanteur ? Top ? Chorégraphe. Mais d’un genre hyperactif, mention 2.0. Après une première vie de maxi-étoile au New York City Ballet, le danseur français fait le grand saut. A 25 ans à peine, il passe à la chorégraphie, buissonne du côté d’Hollywood, fait une campagne pour Yves Saint Laurent Parfums, épouse l’actrice Natalie Portman et fonde en 2011 sa propre compagnie à Los Angeles. Désormais à la tête de la danse de l’Opéra de Paris, il pirouette toujours d’un enthousiasme à l’autre. A commencer par sa toute dernière création*, sur la scène du Théâtre du Châtelet en avril.

Une création pour l’Opéra de Paris en février, une autre en avril avec le L.A. Dance Project, une institution vénérable à diriger, des films en cours, une vie de famille, un tunnel de promotion, comment allez-vous ?

Content et fatigué. Et je vous épargne l’effet des aller-retour à Los Angeles sur l’organisme. Mais j’ai énormément de plaisir à chorégraphier depuis un an. Le fait de programmer pour l’Opéra de Paris m’a rendu beaucoup plus critique avec mon propre travail de chorégraphe. Paradoxalement, ça libère.

Vous signez donc Hearts & Arrows, une nouvelle pièce avec le L.A. Dance Project au Théâtre du Châtelet à Paris. Une pièce courte pour huit danseurs, deuxième volet de Gems, une trilogie commandée par Van Cleef & Arpels. Par quelles étapes passe la fabrication d’un spectacle comme celui-ci ?

En tout, j’ai eu deux mois, de la première idée, du premier mouvement… au point final. Pour une pièce de dix-sept minutes, c’est plutôt luxueux. J’ai commencé en juillet à Los Angeles et je débute toujours par la musique. Pour ce projet, c’est Mishima, un sublime quartet de Philip Glass qui a déclenché l’écriture chorégraphique. Elle est littéralement cousue sur mes huit danseurs, en studio, pendant le mois et demi qu’a duré la création. Je les connais par cœur, et même s’ils sont en permanence tous les huit sur le plateau, chaque tableau fonctionne comme un focus personnel sur un danseur.

A quel moment interviennent costumes et décors ?

Après la collaboration avec Barbara Kruger, j’ai travaillé cette fois avec l’artiste irlandais Liam Gillick. Un peu comme le faisait Merce Cunningham avec Robert Rauschenberg… c’est-à-dire séparément, ce qui me semble assez sain ! Il a vu la pièce terminée, et a fait la proposition d’un décor de lumières très sculptural. Les costumes – jupettes et bermudas noirs à facettes argentées signés Janie Taylor, ancienne étoile du New York City Ballet – ont très vite été imaginés.

Une fois le travail de plateau terminé, que reste-t-il à faire ?
Revenir, corriger encore et encore. Guetter les accidents de transition, soigner la fluidité. Et dans la foulée, j’ai tourné
un petit film. Ma pièce est très terrestre, ancrée dans la vie. Elle travaille la dynamique réelle d’un groupe avec ses échanges, ses violences, ses ruptures et les danseurs ne sont ni des anges ni des créatures désincarnées. Du coup, je leur ai fait danser la pièce dans un décor urbain. Très précisément dans le lit bétonné de la Los Angeles River. Là où a eu lieu la mythique course de voiture de Grease. J’adore ça… Après tout, le film Soleil de nuit avec Baryshnikov en 1985 n’est pas étranger à ma vocation de danseur…

A quel moment savez-vous qu’une pièce est prête ?

Ah, je pourrais encore retourner en studio ! Mais c’est mon expérience de spectateur qui me dit quand c’est terminé. Quand toutes les transitions sont bien fluides et quand j’éprouve du plaisir du début à la fin.

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Heart and Arrows est le second volet d’une trilogie commandée par Van Cleef & Arpels autour de la thématique des joyaux. Qu’avez-vous fait de cette contrainte ?

Le premier volet travaillait le rouge profond du rubis. Là, le titre fait allusion au nombre de facettes qu’on peut trouver dans un diamant… L’écriture de la pièce elle-même joue sur des trajectoires et une écriture très géométrique, structurée. Et bien sûr, il y a ces costumes tout en noir et scintillements d’argent. Mais très franchement, le lien est assez lointain ! Et je ne parlerais pas de contrainte. C’est un mécénat qui fait écho au travail du chorégraphe George Balanchine, cofondateur du New York City Ballet, qui avait, lui, travaillé plus littéralement autour du même thème avec Jewels, représenté en 1967, en partenariat avec Van Cleef, et que j’ai dansé. Pour ce projet, ils m’ont donné carte blanche. Ni mes danseurs ni moi ne portons de montre Van Cleef !

Sans mécénat privé, était-il possible de créer une compagnie comme L.A. Dance Project ?

Quand je l’ai fondée en 2011, il a fallu… disons, être intelligent. Rien ne se fait sans financement privé aux Etats-Unis. Je suis donc parti de zéro. De zéro mais avec mon passé de danseur principal au New York City Ballet, de jeune chorégraphe, et bien sûr de jeune chorégraphe qui avait un peu pris la lumière avec le film Black Swan. Le tout premier spectacle, c’est le Music Center de Los Angeles qui nous a offert 250 000 dollars pour le monter. Et c’était parti ! Mais il a aussi fallu partir de rien dans une ville sans danse contemporaine et sans public. La structure est donc très légère : huit danseurs, un directeur administratif. Il faut en permanence trouver l’argent, convaincre les partenaires, les mécènes et les théâtres. C’est un travail que j’ai dû apprendre, mais qui paraît très naturel aux Etats-Unis. C’est aussi ce qu’a dû faire Baryshnikov pour pouvoir continuer à défendre la jeune scène chorégraphique. Aujourd’hui, la compagnie existe et les habitants de Los Angeles l’ont faite leur. D’ailleurs, après mon mandat de six ans à l’Opéra de Paris, j’y reviendrai sûrement à plein temps.

Vous avez le sentiment qu’en France cette question des fonds privés est encore un peu tabou ?

C’est tellement différent ! Ici, il y a le soutien public, et c’est tant mieux. A l’Opéra de Paris, ma programmation pour  2015-2016 a été conçue avec le même budget que les années précédentes. J’ai un solde de production et je dois m’y tenir. Impossible d’y ajouter 2 millions de fonds privés pour l’enrichir. Du coup, je dépense l’argent différemment, avec des pièces plus courtes pour pouvoir multiplier les créations. Après tout, que va-t-il rester après ? Pas les entrées au répertoire, mais les créations avec la compagnie. En revanche, j’ai levé des fonds depuis que j’y suis, mais ils servent moins pour l’artistique que pour l’amélioration des conditions de travail des danseurs, leur emploi du temps, les sols sur lesquels ils répètent…

Quel regard portez-vous sur cet intérêt du luxe et de la publicité pour la danse contemporaine ?
Je ne crois pas que ce soient les danseurs en particulier qui intéressent le monde du luxe, mais les artistes en général. C’est une plus-value évidente par rapport à des agences publicitaires. Un artiste aura une démarche créative forte, experte et identifiée. Et il sait ce que c’est que toucher un public. Quant à nous, c’est une relation qui nous fait vivre.

La révolution de la com’ a-t-elle eu lieu aussi en danse ?

Vous voulez me faire dire que tout passe par la communication ? C’est vrai. Tout a changé et en même temps pas grand-chose. Bien sûr, Internet, le tout-image, la vitesse de l’information ont modifié les modes de communication, mais pas vraiment la nature de la danse. Je suis forcément très actif, sur-actif même sur les réseaux sociaux, et à l’Opéra comme au L.A. Dance Project, on a développé des collaborations, j’ai réalisé et ferai réaliser des films par des cinéastes. C’est une scène supplémentaire qu’il faut développer. Mais Diaghilev, le fondateur des Ballets russes, ne faisait rien d’autre au début du xxe siècle pour promouvoir sa compagnie. Il occupait tous les terrains médiatiques ! Et il était à la fois critique, journaliste, impresario, organisateur de spectacles. Il faut juste être bon, c’est tout. Et voir grand.

Voir grand, imaginer une scène virtuelle, c’est aussi pousser les murs ? Emmener la danse ailleurs ?
Bien sûr. C’est l’ADN du L.A. Dance Project, une compagnie légère qui peut aussi bien danser dans les musées, à la foire d’art contemporain de Bâle, que dans la rue ou les théâtres. Les conventions de la représentation peuvent changer. La preuve, on lance même une ligne de vêtements chez Colette en même temps que les représentations au Théâtre du Châtelet ! Des vêtements tous issus d’une manière ou d’une autre des spectacles. Par exemple, les jupes de Janie Taylor pour Heart and Arrows, mais aussi des collaborations avec les artistes plasticiens avec lesquels on a travaillé : un tee-shirt Barbara Kruger, un teddy Alex Israel ou une pièce signée Sterling Ruby… Pour moi, c’est un peu comme quand je filme mes danseurs dans la rue à Los Angeles. Ce déplacement-là est important. Il était temps ! Et c’est le même mouvement que ces vêtements vont faire, de la scène à la rue. C’est cool, non ?

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