Entertainment Le 02/12/2015 par La rédaction

Portrait : Gordon Ramsay, le chef le plus célèbre au monde

Il hurle à la télévision, cuisine dans les palaces, a voulu conquérir Versailles. Très riche et peu aimé, le chef écossais ne fait rien à moitié. Heureusement, c’est ce qui le rend si drôle.

Par Stuart Griffiths, traduction Mathieu Cesarsky

 

Gordon Ramsay a des dollars plein ses placards après avoir fait le ménage dans son arrière-cuisine. Son empire vaut plus de 80 millions de dollars ; pas mal pour le pauvre Ecossais désoeuvré qu’il était autrefois. Il a décrit son enfance comme « désespérément itinérante », comparable à celle d’un vagabond. Une course incessante, à la poursuite des aspirations déçues de son père, musicien raté, alcoolique et violent.

Aujourd’hui, Gordon Ramsay n’a plus rien d’un infortuné. Il passe son temps entre sa maison de famille à Londres et sa vie aux Etats-Unis où il travaille sur ses émissions de télé, ses restaurants, ses produits, ses livres. Il est devenu une marque. Il a fait de sa propre image un produit. Obtenir une entrevue avec le chef le plus célèbre du monde est presque impossible, à moins d’être un négociant de luxe dans le milieu de la gastronomie, ou de le coincer au contrôle des passeports dans un aéroport. Il ne fait pas non plus de séances de dédicaces.

En fait, il est si célèbre que son site Internet précise que « face au nombre important de demandes », aucun appui ne sera apporté à une quelconque organisation politique ou caritative, en dehors des « attributions » de l’empire Gordon Ramsay. Il ne répond pas aux demandes d’interview. Il est à la fois officier de l’ordre de l’Empire britannique et un supporter qui a failli jouer pour les Glasgow Rangers, ce genre d’hybride, 50 % sang bleu, 50 % hooligan, qui traite le foot comme une guerre de religion. Je me demande jusqu’où cet homme peut aller. J’imagine que c’est la raison de son succès, c’est-à-dire du succès de sa marque.

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La mode des grands chefs à la télévision britannique remonte aux années 1990 ; d’un seul coup, tout le monde voulait voir des chefs anglais préparant des plats gastronomiques dans une cuisine ordinaire, la nouvelle cuisine pour les masses. Il y a eu Delia Smith, Keith Floyd, Marco Pierre White, Michel Roux, Jamie Oliver, Antony Worrall Thompson, Nigella Lawson et bien d’autres. Mais Gordon Ramsay est devenu le fanfaron des fourneaux préféré des téléspectateurs grâce à son usage abusif du « F-word », qui a donné son nom à son émission.

Le trajet de Ramsay a été une aventure épique, de dur labeur, qui a connu bien des hauts et des bas. Descendu à Londres, il a usé son tablier dans différents restaurants avant d’avoir envie de travailler pour Marco Pierre White, le célèbre chef ivrogne et fantasque du Harvey’s. De toute évidence, Ramsay a été influencé par cette grande gueule égoïste réputée pour son emploi du « F-word », en particulier à l’égard des clients qui se plaignaient de la nourriture.

Ramsay a supporté pendant trois ans le langage et la rustrerie de Marco avant d’aller apprendre la vraie cuisine française, d’abord au Gavroche avec Albert Roux pendant un an, puis à l’Hôtel Diva de Jean-Claude Breton dans les Alpes. Ramsay a beaucoup travaillé en France avant d’emménager à Paris, sous les ordres des éminents chefs étoilés Guy Savoy et Joël Robuchon. Au bout de trois années, Ramsay quitte Paris, fatigué mentalement et physiquement, et passe un an comme chef sur l’Idlewild, un yacht privé basé aux Bermudes.

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A son retour à Londres en 1993, il est engagé au restaurant trois étoiles La Tante Claire à Chelsea. Marco Pierre White remet alors en jeu tous ses fonds pour lui proposer une place de chef et 10 % des parts du Rossmore. Rebaptisé l’Aubergine, le restaurant gagne sa première étoile en 1997, rapidement suivie d’une deuxième. Malgré l’énorme succès de l’Aubergine, Ramsay, qui rêve de diriger son propre restaurant, se retire. L’année suivante, il inaugure son propre établissement à Chelsea, le Restaurant Gordon Ramsay, aidé de son beau-père, Chris Hutcheson, et gagne sa troisième étoile en 2001.

L’empire de Ramsay s’étend ensuite rapidement. Il ouvre le Petrus, puis l’Amaryllis à Glasgow, qui a dû fermer depuis. Il installe un Gordon Ramsay au Claridge’s, où il a notoirement donné des leçons en matière d’art à Juergen Teller, Alan Jones et David Hockney – le premier en garde un souvenir courroucé. Puis Ramsay devient une énorme marque internationale, avec des enseignes comme l’Opal à Doha, le Boxwood Cafe à Los Angeles, etc.

Quand il fonde le Gordon Ramsay at The London à New York, il est élu meilleur nouveau restaurant par le guide Zagat, malgré les avis mitigés des critiques gastronomiques professionnels. Il lance ensuite le Gordon Ramsay au Ritz Carlton de County Wicklow en Irlande. En 2008, il investit le Trianon à Versailles. S’il détient deux étoiles, les critiques l’assassinent régulièrement et moquent ce chef invisible. Omniprésent, dirigeant, de très loin, 24 restaurants, il est pourtant plus connu pour ses émissions américaines Hell’s Kitchen, Cauchemars en cuisine, MasterChef. Elles font d’excellentes audiences aux Etats-Unis et prouvent que les Britanniques ont toujours plus de succès outre-Atlantique dans le rôle du méchant.

A présent, Ramsay est indiscutablement le roi de la télévision culinaire, et tout le monde veut sa part du gâteau, y compris ses détracteurs. En février 2009, le quotidien conservateur Daily Mail révélait que les spectateurs de Channel Four s’étaient plaints du programme The F-Word qui contenait 312 jurons en 103 minutes, dont 240 « fuck ». Le ministre travailliste Denis MacShane a commenté : « Il fait un doigt d’honneur aux amoureux de la langue anglaise. »

La popularité de Gordon Ramsay repose donc surtout sur ses émissions télévisées, dans lesquelles on peut le voir rudoyer les autres en jurant comme un charretier – probablement inspiré par ses années passées dans la cuisine de Marco Pierre White. Ces programmes lui rapportent 225 000 $ par épisode, et c’est de la bonne télé si vous aimez les émissions qui se regardent comme on regarde un accident de voiture, mais elles lui donnent une bonne raison d’être paranoïaque quant à son image.

Ce n’est pas toujours facile hors des cuisines. L’empire Gordon Ramsay a tremblé quand il a dû enquêter sur les affaires sordides de son beau-père, Chris Hutcheson, qui n’a pas toujours été honnête côté finances, sans compter ses nombreuses infidélités. Quand celui-ci a été licencié en 2010, Ramsay a perdu beaucoup d’argent, en pleine récession mondiale. Il a été atterré en découvrant, grâce à un détective privé, que son beau-père menait une double vie, qu’il avait emprunté plus d’un million au Gordon Ramsay Holdings et avait enfanté une deuxième famille !

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La veille du jour où il a viré Chris Hutcheson, Ramsay nageait au fond de l’océan au large du Costa Rica entouré de requins-bouledogues, car il tournait alors un documentaire sur le business des ailerons de requin. Hutcheson a nié toutes les allégations de Ramsay, a dépeint son gendre comme un monstre obsédé par le succès, et lui a intenté un procès pour licenciement abusif et pour impayés. La presse s’en est donné à coeur joie, mais au fond, les médias se sont toujours davantage intéressés à ses cheveux ou au Botox qu’il utilise ou non pour ses fossettes.

Il y a aussi eu des papiers sur son frère, un héroïnomane qui avait fait de la prison en Indonésie pour avoir été pris la main dans le sac de came, et qui vivait depuis dans les rues de Plymouth à vendre le journal des sans-abris, toujours accro à la seringue. Personne n’est innocent, y compris Gordon Ramsay. Il dit avoir payé pour la désintoxication de son frère à cinq reprises et que, à présent, il s’en « lave les mains ».

Ramsay est un homme désespéré, qui s’inquiète de sa calvitie, de ses rides et de son absence de sourcils. C’est Simon Cowell, le producteur de musique et de l’émission X Factor, qui a suggéré à Gordon Ramsay la chirurgie esthétique. Il est allé se faire refaire au laser son visage taillé à la serpe, après que sa fille Matilda a essayé de faire tenir des pièces d’une livre entre les plis de son visage dans son sommeil. Autre désillusion : lorsque David Beckham s’est finalement désengagé, en septembre 2013, de leur projet commun de restaurant à Londres, l’Union Street Café. Leur prochaine aventure laisse perplexe : une chaîne de magasins de tourtes et de purées.

J’ai moi-même travaillé dans la restauration il y a bien des années, aussi je comprends l’étrange brutalité du travail en cuisine. Quand je regarde mes livres de cuisine, ils sont tous de Delia Smith, Jamie Oliver, Nigella Lawson… Gordon Ramsay, je l’aime bien devant la télé en buvant des bières. C’est cool de le voir s’énerver et faire des misères à un pauvre patron de restaurant qui ne sait pas ce qu’il fait. C’est de la bonne télé, mais bon… Ce mec est vraiment intense, et j’aimerais bien boire quelques verres avec lui, même s’il ne boit pas.

Le plus près que j’aie jamais été de Gordon Ramsay, c’est quand j’étais paparazzi dans les rues de Londres, à l’époque où j’étais spécialiste des photos volées, assis toute la journée dans ma voiture à attendre devant la maison d’une « célébrité ». Je n’ai jamais réussi à photographier Gordon Ramsay de jour, seulement la nuit, devant un restaurant ou un club chic de Londres. Ce n’est que depuis peu que la presse le traite comme un moine pacifique, plus pour sa nouvelle coupe de cheveux que pour sa cuisine. Qu’on l’aime, qu’on le déteste ou qu’on souhaite lui faire subir une thérapie par électrochoc, Gordon Ramsay tient par-dessus tout à une chose, une seule : que tout le monde pense qu’il vit 200 à l’heure.

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