Sport Le 20/10/2015 par La rédaction

NBA : le business model à + 4600%

Mieux encore que le football, le basket a su faire fructifier son capital sympathie et ses talents pour les transformer en dollars. Récit d’une aventure économique.

Par Bruno Godard

 

Au siège de la National Basket Association (NBA), niché au cœur de l’Olympic Tower, sur la prestigieuse Cinquième Avenue de New York, la machine à cash tourne toujours à plein régime. Pourtant, depuis janvier dernier, le petit monde du sport business observe avec vigilance, mais aussi un peu de crainte, un léger changement dans la continuité. Car depuis le début de l’année, David Stern n’est plus le tout puissant patron de la NBA, un poste qu’il occupait depuis 1984.

A 71 ans, il a préféré ne pas faire le match de trop et a décidé de raccrocher. En bon autocrate, il a cédé son poste à Adam Silver qui fut son adjoint pendant de nombreuses années. Le nouveau « commissioner » de la NBA va donc poursuivre l’œuvre de son mentor qui, en trente ans, a réussi à faire du basket américain un modèle de rentabilité. Pourtant, rien ne prédestinait ce juriste, fils d’un petit épicier, à devenir le roi des paniers. « Je suis un exemple pour les enfants qui sont nuls en sport », plaisante-t-il régulièrement dans ses interviews.

Piètre basketteur, peu charismatique à ses débuts, il prend la tête de la fédération en 1984, alors qu’elle est au fond du trou. A cette époque, le baseball et le football américain se partagent tout le gâteau du sport américain, et le basket doit se contenter des miettes. La télévision ne diffuse même pas la finale en direct, et les franchises (l’autre nom des clubs aux USA) se battent pour survivre. Très vite, David Stern sent qu’il va devoir s’appuyer sur des têtes d’affiche pour développer son sport. En regardant les méthodes utilisées par les puissantes ligues de hockey sur glace ou de football américain, il a vite compris que le basket avait besoin de têtes de gondole pour exister et il a tout misé sur ces hommes pour en faire des stars planétaires.

Quand il prend le pouvoir à la NBA, il a la chance de saisir au bond l’éclosion de stars comme Michael Jordan, Magic Johnson ou Larry Bird. Pendant plusieurs années, il met en avant ces rois des play­grounds, mais c’est en 1992 qu’a lieu le véritable tournant. Aux Jeux olympiques de 1992 à Barcelone, l’équipe américaine, la fameuse « Dream Team », écrase tout sur son passage et éclate aux yeux du monde. Pour la première fois, le Comité international olympique autorise des professionnels à participer aux JO. Le lobbying de David Stern a payé et le talent de Larry Bird, de Scootie Pippen, de Charles Barkley et, bien entendu, de Michael Jordan et de Earvin « Magic » Johnson font le reste.

Après cette olympiade et ces matchs qui ont battu les records d’audience, David Stern peut exporter son sport dans le monde entier en organisant des matchs exhibitions pour imposer la marque NBA. Et pour être bien sûr de s’implanter dans d’autres pays, il enrôle des joueurs du cru, pour que les supporters puissent s’identifier à leurs idoles. C’est ainsi qu’en 2013, 92 joueurs étrangers participent à la NBA.

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900 millions de téléspectateurs

Pour multiplier les matchs et donc les recettes, David Stern fait passer le nombre d’équipes de 23 à 30. Avec des résultats incroyables. En 1983, le chiffre d’affaires de la NBA dépassait à peine les 100 millions de dollars alors qu’en 2013, il était de 4,6 milliards de dollars ! Sous l’ère David Stern, les chiffres donnent le tournis. Le prix moyen des places atteint des sommets et dépasse souvent les 700 euros. Dans les carrés VIP des Knicks, Woody Allen et Spike Lee parlent statistiques avec Leonardo DiCaprio ou Matt Damon.

Le basket est glamour et les droits télés s’envolent. En 2013, les Lakers ont signé un contrat record de vingt ans avec le groupe Time Warner Company pour un montant de 3,6 milliards de dollars. En 2014, les matchs de finale entre San Antonio ont été suivis par 900 millions de téléspectateurs dans le monde. Les marques se battent pour passer des spots de pub ou être présentes dans les stades. Si 97 % des joueurs portent des baskets Nike, c’est Adidas qui est devenu l’équipementier officiel de la NBA, depuis 2006. Pour un contrat de onze ans et la coquette somme de 400 millions de dollars.

L’année dernière, pour augmenter encore les recettes, la NBA a autorisé la publicité sur les maillots, ce qui devrait permettre aux clubs d’engranger plusieurs centaines de millions de dollars supplémentaires. Mais, si les franchises amassent des montagnes de billets verts, elles doivent aussi faire face à de lourdes dépenses, en particulier pour les salaires des joueurs stars. Les équipes, qui ont entre 12 et 15 joueurs sous contrat, organisent au mois de juin le fameux « draft ».

Les 30 franchises se regroupent à New York, sous la direction du commissaire de la NBA et choisissent chacune deux joueurs issus de l’université, de lycées ou de l’étranger. Durant cette campagne de recrutement ultramédiatisée, les patrons de clubs se battent pour attirer les joueurs les plus prometteurs. Le salaire moyen d’un joueur de NBA dépasse les 4 millions de dollars, mais certains excèdent allègrement les 20 millions chaque année (voir page suivante).

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60 % des basketteurs perdent tout dans les cinq ans

Les joueurs français ne sont pas les mieux lotis, mais certains tirent très bien leur épingle du jeu. Tony Parker touche 12,5 millions de dollars tandis que Joakim Noah, sous contrat avec les Chicago Bulls, gagne 12 millions de dollars par an. Boris Diaw, lui, doit se « contenter » de 4,5 millions de dollars aux Spurs. Des sommes qui font saliver les footballeurs, mais qui n’empêchent pas les faillites retentissantes, puisque selon le magazine Sports Illustrated, 60 % des basketteurs perdent tout dans les cinq ans suivant l’arrêt de leur carrière.

Car si la NBA est bien un modèle de réussite en matière de sport business, cela n’évite pas les reprises de dribble incontrôlées. La plus savoureuse est sans doute celle d’Ozzie et Daniel Silna, deux frères patrons d’une usine de textile, passionnés de basket, qui rêvaient d’avoir leur propre équipe. Au début des années 1970, pour un million de dollars, ils s’emparent des Carolina Cougars, une équipe évoluant en ABA, une des deux ligues de l’époque. Pour jouer en NBA, ils déménagent l’équipe, l’installent à Saint Louis et la rebaptisent Spirits.

Quand les deux ligues fusionnent, les dirigeants de la NBA ne veulent pas intégrer l’équipe et doivent négocier avec les frères Silna qui veulent à tout prix poursuivre leur rêve. En 1976, ils finissent par accepter de dissoudre leur formation contre 2,2 millions de dollars et 14 % des droits télés à venir… sans limitation dans le temps. A l’époque, les droits ne valent que 1,5 million de dollars et les dirigeants de la NBA pensent avoir fait un bon deal. Sauf qu’aujourd’hui, ils coûtent 7,4 milliards de dollars ! C’est ainsi que les deux frères ont reçu 521 000 dollars en 1981 mais 17,5 millions en 2011 ! Depuis l’explosion des droits télés, la NBA a engagé un bras de fer avec les deux hommes d’affaires qui ne voulaient rien entendre. En janvier dernier, les Silna cèdent enfin contre un chèque de 500 millions de dollars. En définitive, ce contrat leur aura rapporté près d’un milliard de dollars…

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Propos racistes et machine à cash

Quelques mois après sa prise de fonction, Adam Silver, le nouveau patron de la NBA, a dû aussi gérer un nouveau scandale suite aux propos racistes de Donald Sterling, le propriétaire des Clippers de Los Angeles. Le 25 avril 2014, le site Sports TMZ a publié un enregistrement de l’homme d’affaires qui disait à son ex-compagne : « Sur ton Instagram de merde, tu n’as pas à te montrer à côté de Noirs. M’amène pas de Noirs à mes matchs, y compris Magic Johnson. » Cinq jours plus tard, Donald Sterling sera suspendu à vie par la NBA, et contraint de vendre son équipe à Steve Ballmer, l’ancien patron de Microsoft, pour la coquette somme de 2 milliards de dollars. Quand on sait que le milliardaire banni de 80 ans avait payé son club 12 millions de dollars en 1981, on imagine que sa mise à l’écart retentissante sera vite oubliée. Mais pour l’impitoyable monde du sport business, protéger la formidable machine à cash de la NBA valait bien ce petit arrangement avec la morale…


La NBA en chiffres

1983: 100 millions de dollars chiffre d’affaires de la NBA

2013: 4,6 milliards de dollars chiffre d’affaires de la NBA

+ 4 600 %: la progression en 30 ans du chiffre d’affaires de la NBA

30,4 M$: le salaire de Kobe Bryant (Lakers)

42 M$: les revenus publicitaires de LeBron James (Cleveland Cavaliers)

Joueurs ayant les plus gros revenus publicitaires en NBA après LeBron James (Source : Sportune) :

Kobe Bryant (Lakers) : 34 millions de dollars

Derrick Rose (Chicago Bulls) : 21 millions de dollars

Prix des places les plus chères pour un match de saison régulière :

New York Knicks : 350 dollars

Los Angeles Lakers : 280 dollars

Oklahoma City Thunder : 240 dollars

Miami Heat : 290 dollars

Chicago Bulls : 270 dollars

Cleveland Cavaliers : 95 dollars


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