La capitale économique du Nigéria s’est imposée comme la ville « tendance » du continent. La cité la plus peuplée d’Afrique fait figure d’eldorado.
Par Stéphane Lartigue
De jeunes Nigérians en costumes trois-pièces, qui fument de gros cigares en savourant du cognac au bord de la piscine. Des beautés plantureuses, court vêtues, avec talons aiguilles de 20 centimètres et décolletés profonds. Les belles de nuit savourent une coupe de champagne en dansant au rythme de Davido, d’Ice Prince ou de P-Square, stars de la musique nigériane. Parfois, la vie des riches Lagotiens a tout d’un clip de rap américain. Des Lagotiens de 18 ans qui fêtent leur anniversaire en boîte de nuit et peuvent dépenser 50 000 dollars en quelques minutes. Des week-ends shopping à 250 000 dollars.
Lagos s’est imposée comme la nouvelle capitale du luxe en Afrique, notamment du champagne et du cognac. Tous les grands groupes de spiritueux occidentaux ont désormais pignon sur rue à Lagos, de LVMH à Pernod Ricard. Moët & Chandon et Remy Martin font partie des marques les plus connues au Nigéria (Naija pour les initiés). Le cognac est la boisson tendance pour les jeunes fortunés. Beau paradoxe au pays où sévit Boko Haram. Mais Naija est ainsi. Pendant que la secte islamiste terrorise le Nord, Lagos la capitale économique située dans le Sud, au bord de la lagune, fait la fête de jour comme de nuit. A Lagos, l’argent tout comme le champagne coule à flots. L’argent du pétrole. Le Nigéria est depuis trente ans le premier pays producteur d’or noir. De l’aveu même des autorités, entre 10 et 15 % de la production quotidienne échappe aux réseaux légaux. Même les fruits de la production déclarée peuvent avoir une fâcheuse tendance à s’évaporer. Ainsi, l’année dernière, selon Lamido Sanusi, le gouverneur de la banque centrale, 20 milliards de dollars se sont évaporés en quelques jours des caisses de l’Etat. La ministre des Finances, Ngozi Okonjo-Iweala, a confirmé les faits. Mais à ce jour, aucune enquête n’a été menée.
Banana Island, le quartier protégé
Les plus grandes fortunes du Nigéria ont jeté l’ancre dans cette mégapole de 22 millions d’habitants. Aliko Dangote, l’homme le plus riche du continent – fortune de plus de 20 milliards de dollars – habite à Lagos. Son yacht coule des jours heureux dans la lagune. La famille Chagoury, des Libanais du Nigéria, capital estimé à 10 milliards de dollars, vit elle aussi dans la capitale économique. Il se murmure que le jet des Chagoury transporte les grands de ce monde lorsqu’ils séjournent dans la région, notamment Bill Clinton, un « ami » de la famille. Les Chagoury possèdent notamment l’Eko Hotel, l’un des établissements les plus en vue de la ville. Ils sont également à l’origine de l’un des projets urbanistiques les plus ambitieux en Afrique. Dans des terres gagnées sur la mer, les Chagoury ont construit « Banana Island », quartier protégé où nul ne peut entrer sans y avoir été invité.
A Banana Island, des appartements se vendent près de quatre millions de dollars. Ils se louent 100 000 dollars par an. A cela, il faut ajouter des charges qui dépassent les dizaines de milliers de dollars. Cerise sur le gâteau, comme ailleurs à Lagos, avant d’emménager, il faut payer au moins deux ans de loyer d’avance. « Ce sont les entreprises qui paient les loyers », souligne un expatrié constatant que les prix ne cessent de flamber. Depuis l’année dernière, avec le recalcul du PIB, le Nigéria est devenu la première économie du continent. Bien loin devant l’Afrique du Sud. Du coup, les multinationales présentes sur le continent ne peuvent ignorer Lagos. Elles sont toutes obligées d’ouvrir des bureaux dans cette ville dont le PIB est déjà supérieur à celui de la Côte d’Ivoire et du Sénégal réunis. Même dans des quartiers moins huppés de Lagos, l’appartement « correct » peut se louer de 4 000 à 5 000 euros par mois. Pour ce prix-là, vous n’avez ni l’eau ni l’électricité. Il faut acheter un groupe électrogène pour avoir accès à ce « luxe ». Les charges d’un appartement peuvent revenir à plus de 1 000 euros par mois. Juste pour avoir l’électricité. A Lagos, des dizaines de milliers de groupes électrogènes tournent en permanence. Le vrombissement du générateur constitue la bande-son de la ville.
Paradoxalement, plus vous habitez dans un quartier riche et moins vous avez de chance d’avoir l’électricité. « Les compagnies d’électricité se disent que les plus riches ont les moyens de se payer un générateur. Si vous vous plaignez, les autres habitants du quartier commencent à vous regarder bizarrement, ils se disent que vous ne méritez pas vraiment d’habiter là, si vous avez du mal à payer vos factures. Le groupe électrogène est un signe extérieur de richesse », souligne Biola, femme d’affaires habitant Ikoyi, le quartier résidentiel de Lagos.
Prada, Hermès et Porsche tiennent boutique
A Lagos, il est de bon ton de scolariser ses enfants dès le plus jeune âge – à partir de 6 ans – dans des pensions huppées en Suisse ou en Grande-Bretagne. Après ce premier contact avec les délices de l’Occident, les représentants de la lignée poursuivront des études à Oxford ou Harvard. Il n’est pas rare que des familles consacrent près de 100 000 euros par an à l’éducation de leurs enfants. Chaque jour, de nouvelles demeures de luxe avec des légions de colonnes grecques sortent du sol. L’une d’elles est la reproduction de la Maison-Blanche. Le propriétaire, le banquier Otunba Balogun, a fêté l’an dernier ses 80 ans en réunissant 1 000 invités dans sa nouvelle demeure.
Les riches Lagotiens se montrent extrêmement généreux avec leurs protégées. L’« argent de poche » offert mensuellement aux « petites amies » peut dépasser allègrement les 200 000 euros par mois. Quand le sac Prada, Lancel, Hermès ou Vuitton de leurs rêves n’est pas présent dans les nouvelles boutiques de luxe qui fleurissent à Lagos, elles se rendent à Paris, Londres, Dubaï, New York ou au Cap pour un week-end shopping. Afin de se rapprocher de cette clientèle, les grandes marques se sont installées à Lagos. Ainsi, Porsche a pignon sur rue. Seul problème, mais il est de taille, même à Ikoyi, les rues sont couvertes de nids-de-poule. « Ma Porsche, je ne la sors que le dimanche. Je vais de chez moi à un hôtel de luxe. Je déjeune sur place et la voiture retourne au garage », confesse un riche Lagotien.
La montée en puissance de Lagos est loin d’être achevée. La famille Chagoury entend continuer à façonner la ville en gagnant toujours et encore sur l’océan. Ainsi un nouveau quartier – l’Ego Atlantic – doit voir le jour ; un projet à plusieurs milliards de dollars. Des terres gagnées sur la lagune. Un premier immeuble est sorti de terre. Les loyers seront encore bien plus élevés qu’à Banana Island. Ce quartier suscitera la convoitise des riches Lagotiens qui représentent 1 % de la population nigériane. Selon une étude de New World Wealth, en 2017, le Nigéria comptera 23 000 millionnaires en dollars.
Espérance de vie : à peine plus de 50 ans
Pourtant 70 % de la population de ce pays de 177 millions d’habitants vit avec moins d’un dollar par jour. L’espérance de vie reste d’à peine plus de 50 ans. Ceux qui ne peuvent s’offrir des soins à l’étranger courent le risque de disparaître rapidement. Ainsi ce pays grand comme deux fois la France ne compte aucun centre de traitement du cancer. Sur les ponts enjambant la lagune, l’automobiliste croise des charrettes tirées par des hommes. Dès qu’un 4×4 flambant neuf apparaît, le conducteur de la charrette se jette sur le bas-côté pour le laisser passer. A Lagos, tout le monde accepte que le riche ait la priorité en toutes circonstances. Dans la ville où le dollar règne en maître absolu, personne ne conteste l’autorité du nanti. « Le riche, on ne le déteste pas. On veut juste devenir comme lui, explique une étudiante venue tenter sa chance à Lagos. C’est pour cela que nous venons tous ici. Pour nous, Lagos, c’est comme la Terre promise. »
Le trio de tête
Aliko Dangote, L’homme le plus riche d’Afrique
Lorsque Forbes a annoncé en 2007 qu’Oprah Winfrey était la personnalité noire la plus riche du monde, Aliko Dangote, né en 1957 à Kano (nord du Nigéria), est brusquement sorti de l’ombre pour expliquer qu’il était bien plus riche qu’elle. En 2013, ce musulman installé à Lagos est devenu le premier Africain à franchir la barre symbolique des 20 milliards de dollars de fortune personnelle. L’origine de ses biens, selon la légende dorée : le jeune entrepreneur a emprunté 500 000 nairas (2 500 euros) à son oncle pour se lancer dans le très lucratif commerce du ciment. Par la suite, il a diversifié ses investissements dans la farine, le sucre et le pétrole. Au lieu de placer son argent en Suisse comme tant de ses riches compatriotes, Dangote a toujours réinvesti au Nigéria et en Afrique. Son secret : du flair, un train de vie sobre, mais aussi et surtout de solides amitiés politiques qui lui ont permis d’écarter la concurrence trop vive.
Kunle Afolayan, Le Scorsese de Lagos
A 40 ans à peine, Kunle Afolayan est déjà le plus célèbre des réalisateurs nigérians. C’est la figure de proue de Nollywood, la deuxième industrie cinématographique au monde après Bollywood en nombre de films produits. Son dernier opus, October 1st, thriller politique qui se déroule sur fond d’indépendance du Nigéria, a même suscité le vif intérêt du New York Times. Lequel n’a pas hésité à qualifier ce réalisateur formé à New York de « Scorsese de Lagos ». Son précédent film, Figurine, avait aussi fait sensation. Afolayan a prouvé que Nollywood n’était plus synonyme de piètre qualité et de budget étique.
October 1st disposait d’un financement de deux millions de dollars. Economiste et banquier de formation, Afolayan sait lever des fonds. Par ailleurs, c’est un excellent acteur qui fait vibrer les spectatrices. Issu d’une famille d’artistes, le séducteur de Nollywood est le digne successeur de son père, célèbre acteur surnommé « Ade Love ».T. B. Joshua, Le prophète de la lagune
Pour ce pasteur évangélique de 52 ans, à la tête de la Synagogue Church of all Nations, toute l’Afrique se précipite à Lagos. Temitope Balogun Joshua, qui se fait appeler « le prophète », réunit des centaines de milliers de fidèles. Il se targue de prédire l’avenir. Il aurait prévu la mort de Michael Jackson et le crash de la Malaysia Airlines. Avec son eau bénite, le « prophète » Joshua se dit capable de guérir le cancer et le sida. Ses disciples viennent de toute l’Afrique et même au-delà. De nombreux dignitaires politiques lui rendent visite. A commencer par Joyce Banda, la présidente de la République du Malawi, qui affirme que Joshua a guéri son mari d’une grave maladie. John Atta Mills, ex-président du Ghana, et Winnie Mandela ont aussi fait le « pèlerinage ». Selon Forbes, c’est l’un des prédicateurs les plus riches de la planète. Sa fortune est estimée à plus de 15 millions de dollars. La moitié des pasteurs les plus riches du monde vivent à Lagos.
Nigéria, le pays des superlatifs
20 milliards. La fortune en dollars d’Aliko Dangote, l’homme le plus riche de Lagos et d’Afrique.
100 000 dollars. Le prix annuel de location d’un appartement standard dans le quartier résidentiel de Banana Island.
Il faut payer deux ans de loyer d’avance avant d’emménager.2,5 millions. Le nombre de barils/ jour produits par le Nigéria, le plus gros producteur d’Afrique. En 1994, l’Inde est devenue son principal client en lieu et place des Etats-Unis. Et le Nigeria s’est imposé comme la première puissance économique d’Afrique, son PIB dépasse largement celui de l’Afrique du Sud.
18 ans. L’âge moyen de la population nigériane.
2 000. Le nombre de films produits chaque année au Nigéria, essentiellement à Lagos. C’est le deuxième plus grand producteur de films après l’Inde. L’industrie du cinéma représente désormais 4 % du PIB.
177 millions. Le nombre d’habitants du Nigéria. Désormais, un Africain sur six est Nigérian.
440 millions. Le nombre d’habitants du Nigéria en 2050. Selon les démographes, le Nigéria sera alors le troisième pays le plus peuplé du monde après la Chine et l’Inde.
