Entertainment Le 09/11/2015 par La rédaction

Floirat, de l’aéronautique à Saint-Tropez

Propriétaire du Byblos et des Caves du Roy à Saint-Tropez, l’une des boîtes de nuit les plus célèbres au monde, la très discrète famille Chevanne, également présente à Monaco, Deauville ou Saint-Jean-de-Luz, est aussi à l’origine de Breguet Aviation, d’Europe 1, de Matra ou d’Hachette. Antoine, l’arrière-petit-fils du fondateur de la dynastie, Sylvain Floirat, nous a exceptionnellement ouvert sa porte.

Par Aymeric Mantoux 

 

Un immeuble de bureaux cossu dans les beaux quartiers de Paris, à une enjambée du rond-point des Champs-Elysées. Une discrète plaque en cuivre indique « Groupe Floirat ». Un interphone. Au 4e étage, pas d’accueil. On débarque de plain-pied dans un appartement  meublé à l’ancienne.
Ah ! le charme discret de la grande bourgeoisie.

Barbe de trois jours encadrée par des cheveux bruns mi-longs et sourire poli, Antoine Chevanne a la poignée de main franche. Dans son bureau aux murs jaune pâle un peu passé s’entassent des meubles Empire, sous le regard bienveillant d’un buste de Napoléon en bronze auquel fait face un portrait de l’aïeul par qui tout est arrivé, Sylvain Floirat. « Le mobilier provient de l’ancien bureau de mon arrière-grand-père, rue de Presbourg (aujourd’hui propriété du groupe Lagardère), où a été prise cette photo », souligne son descendant, avant de préciser : « J’ai la chance de bien le connaître. J’avais 20 ans quand il est mort. Mais j’ai eu une vraie relation avec lui, de nombreuses conversations. Il faisait partie de ces gens qui ont la faculté de vous tirer vers le haut, un très grand optimisme qui vous pousse à vous dépasser. Il était protecteur avec sa famille, portait un regard attendrissant sur tous. » Il faut dire que son grand homme n’était pas n’importe qui.

Originaire du Périgord, Sylvain Floirat, disparu en 1993 à 94 ans, est un bâtisseur, à l’instar des Marcel Dassault, François Bich, Ricard ou Peugeot. Une véritable légende : après avoir débuté comme apprenti charron dans son village, il deviendra l’un des industriels les plus inventifs et prospères du XXe siècle. Aux-Etats-Unis, son histoire unique aurait déjà inspiré biographies et biopics. Sylvain Floirat aura tout fait ou presque : à 15 ans, il tente sa chance à Paris, apprend le dessin et la comptabilité aux cours du soir, lance les autocars Floirat, la compagnie aérienne Aigle Azur, reprend Breguet Aviation, Matra, crée Europe 1 ou Télé-Monte-Carlo, les disques AZ, le journal gratuit Un jour, ou encore dirige la société qui créa les automatismes pour le métro. Périgourdin, c’était un terrien, un homme discret, plein de bon sens. La légende familiale dit que lors du rachat d’Europe 1, sa femme lui aurait dit : « Mais pourquoi as-tu acheté une radio ? On en a déjà une ! »

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Incroyable visionnaire, à l’origine des podiums d’Europe 1 en province, il lance un hôtel à Terrasson (fermé depuis), le Byblos à Saint-Tropez, puis son équivalent à Malaga (fermé également). Pas mal pour quelqu’un qui disait de lui-même ne rien avoir d’un hôtelier. « C’était quelqu’un de curieux, poursuit Chevanne. C’est une condition sine qua non de l’entrepreneuriat. Il essayait des choses, il allait au bout de ses idées. Moi, j’ai eu la chance de baigner dans cet univers, comme Obélix dans la potion magique, mais je suis devenu entrepreneur, je ne suis pas né comme ça. Indirectement, j’ai été influencé par la manière d’interagir de mes aînés, par leur façon de s’intéresser aux autres, de partager. » Amateur d’omelettes aux truffes, le patriarche était surtout attaché à ses noyers et à son terroir.

Maire du village de Nailhac, président de la chambre de commerce, il a également lancé la Fondation pour l’avenir du Périgord… un véritable personnage, qu’on croirait tout droit sorti d’un roman de Balzac et qui a diversifié son patrimoine dans la truffe et dans la pomme. Epaulé par son épouse, pianiste dans un cinéma, il aura été un grand créateur et un immense inventeur. Mécanicien dans l’aviation pendant la Première Guerre mondiale, décoré de la Légion d’honneur à titre militaire pendant la Seconde, cet humaniste aura tout fait. Y compris embaucher un certain… Jean-Luc Lagardère pour assurer la direction générale de Matra. Il en fait son véritable fils spirituel. Une belle ironie de l’histoire quand on voit comment Lagardère fils gère l’empire qu’il a reçu.

De génération en génération

« Ce que je fais pour ma part, assure Antoine Chevanne, n’a pas comme motivation l’argent ni le pouvoir. Je le fais en mémoire de mon arrière-grand-père pour qui j’ai une adoration. Nous étions très proches, je me fais un point d’honneur d’aller au bout de ce que j’entreprends, sans pour autant essayer de refaire ce qu’il a fait. » Car, la chose est rare, les actifs du groupe Floirat se sont transmis de génération en génération. Ainsi, en 1996, le père d’Antoine reprend 100 % du groupe. Qu’il transmettra, avec les valeurs familiales, à son fils dix ans plus tard.

Aujourd’hui, c’est donc l’arrière-petit-fils du fondateur qui poursuit l’incroyable saga familiale. C’est lui qui, nommé par son père à la tête d’Aigle Azur, du nom de l’ancienne compagnie aérienne de l’aïeul, rebaptise le groupe du nom de l’ancêtre. Lorsqu’il hérite de plantations de pommiers dans le Sud-Ouest, de terrains et de 100 hectares de programme immobilier à Fréjus, comme du Byblos, il décide de se concentrer sur l’hôtellerie haut de gamme. Après des études à Dauphine mêlant économie industrielle et hôtellerie et un master à la Cornell University, Antoine sort du rang. D’abord, il dirige le Byblos à Saint-Tropez pendant six ans, puis il reprend en main le groupe après un stage d’un an au Royal Monceau à Paris. Le désengagement du Byblos de Courchevel ? C’est sa décision. Il avait à peine 30 ans. Comme l’est celle de développer son groupe à l’international autour de l’hôtellerie de prestige, des demeures de charme et des clubs privés.

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Sa première acquisition, La Réserve, un hôtel-restaurant de charme au Pays basque. Plus récemment, Antoine Chevanne achète Les Manoirs de Tourgéville près de Deauville, anciennement propriété de Claude Lelouch. Le jeune trentenaire ouvre aussi le Black Legend (en 2009) et le Red (en 2012), des restaurants-bars lounges-discothèques de luxe à Monaco. « Une acquisition, c’est un coup de cœur, martèle le chef d’entreprise qui affiche peu d’a priori. L’emplacement, c’est une évidence aussi. Mais nous avons une règle d’or dans la famille : il faut les trois feux verts de mon père, de ma mère et de moi-même. Sinon on n’y va pas. »

Aujourd’hui, Antoine Chevanne, qui assure, sans que cela ne semble l’affecter le moins du monde, décliner « une proposition d’acquisition du groupe par jour, par des fonds d’investissement, des hommes d’affaires, ou des affairistes », entend renforcer chacun de ses pôles avec des acquisitions. Cela pourrait passer par des développements du nom Byblos à l’étranger, comme au Brésil, où Antoine Chevanne a déjà effectué plusieurs séjours. « Il ne s’agit pas d’argent, insiste l’héritier. Cela ne s’achète pas. Bien sûr, comme disait mon arrière-grand-père, il faut que les entreprises vivent et survivent, “Où est le gras ?”, mais nous sommes une famille, une équipe, et je veux emmener ces gens avec moi. »

Chevanne s’honore ainsi d’un très faible turnover dans ses propriétés hôtelières, comme le Byblos où plusieurs générations de salariés se sont succédé. « J’ai mis trois ans au Byblos à être vraiment respecté par mes pairs, mais ça a été une grande satisfaction », souligne le jeune homme, qui n’a eu le droit de mettre les pieds aux Caves du Roy qu’à l’âge de 18 ans et qui n’apprécie pas plus que ça les mondanités. « Je ne suis pas le stéréotype du bling bling ni le plus féru de fêtes. Certes, je suis devenu ami avec certains de nos clients, qui eux-mêmes sont parfois les descendants d’anciens clients, mais je ne suis pas un pilier de la boîte de nuit. Je visite en revanche chacun de nos établissements au moins une fois par mois. » Elevé à la campagne, Chevanne avoue avoir longtemps souffert de son image associée à un Saint-Tropez jet-set et à ses excès. « C’est un endroit de fête, il fait partie de mon ADN et je ne le renie pas. Mais il y a un autre Saint-Tropez, une double facette. »

Création de valeur à long terme

Aujourd’hui, ce jeune papa bien dans ses baskets a adopté une logique de diversification à partir du savoir-faire développé au Byblos, l’un des rares palaces à être encore propriété d’une famille. Son objectif est la création de valeur à long terme. Antoine entend perpétuer l’histoire, la marque. La voie qu’il a choisie nécessite du temps, celui de construire pour laisser un patrimoine aux générations futures, comme lui en a reçu un. « Je concentre mes capitaux et mes investissements dans des lieux mythiques. Au Byblos par exemple, je réinvestis 10 à 15 % par an dans le maintien de l’outil de travail. C’est important car l’univers est très concurrentiel. » Son groupe est 100 % français, et il le revendique, mais il mise beaucoup sur sa clientèle internationale. « Le développement de Byblos à l’étranger est une question de timing. Le second établissement sera situé dans un marché d’où viennent nos clients. » Son rêve ? « Voir les 100 ans du Byblos. » Il aurait alors l’âge de son arrière-grand-père. 


Les 5 établissements du groupe Floirat

 

Hôtel Byblos – Les Caves du Roy (Saint-Tropez)

La Réserve (Saint-Jean-de-Luz)

Les Manoirs de Tourgéville (Deauville)

Le Red (Monaco)

Le Black Legend (Monaco)


Les Floirat en chiffres:

 

1 groupe 100% familial

30 M€ de chiffre d’affaires

240 salariés

25% de rentabilité

4 générations

5 M€ investis en rénovation à Saint-Jean-de-Luz


Le groupe Floirat en 10 dates 

 

Sylvain Floirat voit le jour en 1899 et…

1946: lance la compagnie Aigle Azur

1955: crée Europe 1

1967: achète le Byblos

1993: décès de Sylvain Floirat

1996: son petit-fils Sylvain reprend le groupe

2004: cession des plantations d’agrumes de Floride

2006: Antoine Chevanne, arrière-petit-fils du fondateur, prend les rênes

2009: acquisition de La Réserve (Saint-Jean-de-Luz) et ouverture du Black Legend (Monaco)

2010: inauguration des Manoirs de Tourgéville

2012: ouverture du Red à Monaco


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