Entertainment Le 28/10/2016 par Felix Besson

Eddie Redmayne en couverture de l’Optimum de novembre

La tentation du tunnel

Par Baptiste Piégay

« L’herbe du voisin a toujours l’air plus verte, notait Tom Waits, mais elle est toujours aussi dure à tondre ». C’est ainsi : à jeter des regards en biais pour surveiller ce qui se trame ailleurs, on fantasme facilement l’exotique, l’inconnu est emballé dans un papier brillant, enrubanné de soie sauvage.

Aux appels de Londres, il fallait rester attentif. Portées par la houle de la Manche s’écrasaient sur nos rives les dernières tendances, concepts vaporeux élaborés dans un vaste triangle formé par Savile Row, Notting Hill et Islington. Succédant à la patiente élaboration de réseaux (composés de correspondante gothique, de cousin parti vivre au rythme de Top of the Pops, de disquaire compatissant), la vie 2.0 a permis de suivre en temps réel sur le GPS du cool les dernières manifestations de la création made in UK.

Rétréci, le monde s’est vexé, mais n’a rien perdu de ses séductions inconnues, même à deux heures quarante de train (sans compter les pannes électriques, les pudiques incidents voyageurs, les catastrophes climatiques, les protestations politiques). Le Brexit devait engloutir Albion, la noyer dans un cataclysme biblique digne d’une onzième plaie d’Egypte. Aspirer à quitter l’Union européenne devait être un terrible péché et méritait une punition à la hauteur de cette transgression dans un style tout britannique, ironisaient les éditorialistes du mois de juin. Soeur Anne ne voyant toujours pas venir la catastrophe, attendue avec une joie mauvaise, elle a jeté l’éponge et quitté sa vigie pour s’abonner au compte Instagram de David Beckham, bien plus divertissant.

Un pas leste séparant l’anglofolie de l’anglophobie, il faut encore s’employer à désamorcer les effets secondaires de lointains souvenirs, Waterloo ou Twickenham, dont la persistance dans l’imaginaire collectif a peu d’égal (sans tenir compte d’un soir de juillet 2006 à Berlin, hors concours). A moins que le casus belli ne tienne plutôt à l’invention de la pop, difficilement « revendicable » de ce côté-ci du tunnel. Un duel historique, entre batailles de polochon et jets bilieux, querelles de clochers et rugueuses mêlées, qui injecte de millénaire en millénaire dans les relations franco-anglaises un solide supplément romanesque, à l’image de ces couples dont la pérennité doit beaucoup aux tempêtes quotidiennes. Sans friction, pas d’excitation.

Etre attentif sans jalousie, admiratif sans amertume, stupéfait sans envie, mais être inspiré comme l’on respire un air frais après une longue apnée. Regarder un autre pays que le nôtre bouger, inventer, cuisiner, s’habiller, écrire, construire, faire des affaires, réussir, se planter, est moins une activité passive qu’une leçon de morale. Got it ?

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