Entertainment Le 02/11/2015 par La rédaction

Dans les coulisses de Yoox

C’est peut-être au cœur de l’Italie que se joue l’avenir du e-shopping haut de gamme. En fusionnant avec Net-a-porter, le groupe Yoox a frappé un grand coup. Et n’en est pas peu fier. Rencontre avec un big boss milanais déterminé. 

Par Karen Rouach 

 

Federico Marchetti peut sans peine marcher incognito dans les rues de Milan. Une chance pour ce quadragénaire italien originaire de Ravenne qui règne pourtant en maître sur l’e-commerce de luxe.

On doit en effet à ce chic geek en costume gris le groupe Yoox, société cotée à la Bourse de Milan, qui vient tout juste de fusionner avec Net-a-porter, son concurrent tout aussi puissant affilié au groupe Richemont. Il est donc aussi à l’aise au premier rang d’un défilé Bottega Veneta que dans une salle de réunion de la Silicon Valley. A Bologne, au centre de logistique Yoox, ça boit du café par litres, et des tableaux blancs recouverts d’équations décorent l’open space. Près de 900 personnes font tourner cette énorme machine, haut lieu du shopping en ligne, qui regroupe yoox.com bien sûr, mais aussi thecorner.com, shoescribe.com et de nombreux e-shops en nom propre, notamment ceux des marques du groupe Kering.

C’est ici, au beau milieu de la campagne italienne, que sont traitées les commandes – une toutes les neuf secondes en moyenne – pour être envoyées dans l’un des 100 pays livrés par le groupe. Le contraste entre les machines de haute technologie (véritables robots) et la délicatesse avec laquelle les petites mains emballent une chemise Valentino est frappant. D’après l’écran installé au cœur du centre de traitement qui montre en temps réel les achats passés, les Européens se déchaînent actuellement sur l’e-shop Armani. « Normal, il est 11 heures », me répondra-t-on. A l’heure donc où les Français ouvrent leur newsletter, Federico Marchetti nous reçoit avec de l’eau pétillante dans ses bureaux milanais pile à son image. Des murs blancs discrets comme les aime Margiela, des œuvres d’art placées à des endroits stratégiques, et une petite excentricité tout de même : des rideaux très théâtraux en velours rouge.

Vous venez de fusionner avec votre concurrent, Net-a-porter. Quels sont vos intérêts, concrètement ?

Federico Marchetti : Il y a un avantage stratégique et financier à s’unir : nous allons devenir le premier détaillant de mode de luxe en ligne au monde, avec une plate-forme élargie, idéale pour le renforcement des partenariats avec les marques. Le Yoox Net-a-porter Group affichera une croissance considérable compte tenu des compétences très complémentaires des deux sociétés. A nous deux, nous couvrons géographiquement plus de 180 pays, et comptons plus de 2 millions de clients à fort potentiel d’achat.

Vous avez commencé votre carrière dans la finance, aujourd’hui vous squattez les premiers rangs des défilés. Comment passe-t-on de l’un à l’autre ?

Après l’université, j’ai travaillé pendant trois ans chez Lehman Brothers. Mais ce n’était pas par passion, plutôt un moyen de comprendre très vite le fonctionnement du monde du travail. J’ai bien fait car, aujourd’hui encore, vingt ans après, je me sers de ce que j’ai appris là bas. Je rêvais depuis toujours d’être un entrepreneur, donc dès le départ, je savais que j’allais créer quelque chose, ce n’était qu’une question de temps.

Quel était votre rapport à la mode avant de créer Yoox ?

La mode m’a toujours intéressé, mais surtout d’un point de vue retail. J’aime le client, j’aime l’expérience d’achat en elle-même, et j’aime découvrir de nouvelles boutiques. C’est une passion. Quand j’ai fait mon master à Columbia, je montais beaucoup de projets autour de la mode. Et en tant qu’Italien, c’était une sorte de challenge avec moi-même.

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Comment avez-vous finalement donné naissance à Yoox ?

J’ai fait le grand saut : je suis parti de Milan pour m’installer quelque temps à New York, et c’est là que j’ai senti que ma formation d’entrepreneur touchait à sa fin. Je ne voulais pas attendre plus longtemps pour me lancer, car j’étais jeune, et plus tu es jeune, plus tu prends des risques. C’était en 1999.

En plein explosion de la bulle Internet…

Oui, bien avant Facebook et juste après Amazon. Ce n’était pas le meilleur moment pour se lancer, mais, quand vous n’avez pas d’argent pour démarrer, Internet reste la meilleure option, voire la seule. J’ai voulu mêler Internet, un outil très démocratique, à ma passion pour la mode, qui est très exclusive. Ces deux mondes paraissaient si opposés à l’époque que quelqu’un devait les relier. Je me suis dévoué, persuadé que ces deux-là pouvaient faire quelque chose de beau et de grand. Voilà comment l’idée de Yoox m’est venue, et j’ai choisi de rentrer en Italie avec ce projet.

Vous n’étiez pas du sérail de la mode, comment avez-vous convaincu les marques de travailler avec vous ?

On ne m’a pas fait de cadeau. L’Italie, en 1999, n’était pas la Silicon Valley ! Mais je rêvais les yeux grands ouverts. Et les marques que je démarchais voulaient rêver. Franchement, je leur dis chapeau, parce qu’elles m’ont fait confiance alors que je sortais de nulle part. Armani a été mon premier client : c’étaient des rêveurs, tout comme moi. A la mi-juin de l’année 2000, yoox.com était lancé.

Etre un outsider vous a servi, au final…

Oui, parfois ça a du bon, vous voyez les choses avec des yeux neufs. Ça vous évite d’être manipulé, et ça vous rend plus fort, lucide. Aujourd’hui, je ne suis plus un outsider, je fais le lien entre deux mondes. Je serais très mal à l’aise si j’étais un type d’Internet au premier rang d’un défilé ou un type de la mode à la Silicon Valley. Je suis un « trait d’union », comme vous dites en français, c’est pour ça que j’étais très détendu quand j’ai rencontré Steve Jobs.

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Est-il difficile de rester créatif et businessman à la fois ?

Le business et la créativité ne s’opposent pas, ils se rejoignent tôt ou tard. J’aime autant avoir une nouvelle idée que créer une nouvelle stratégie, mais il faut être créatif dans la stratégie. Trouver un équilibre. Le nom « Yoox », par exemple : mon côté créatif me disait qu’il fallait un nom humain, avec les lettres y et le x qui représentent les chromosomes masculins et féminins, et un double o très actuel. Mon côté business me disait qu’il fallait un nom court et international. J’ai écouté les deux.

Vous avez accès à des données qui en disent long sur le comportement des consommateurs. Qu’avez-vous appris de particulier ces quinze dernières années ?

Quand une femme achète des chaussures, elle n’achète jamais autre chose en même temps. Les Italiens adorent les foulards et font leur shopping l’après-midi… pendant les heures de bureau ! Plus sérieusement, nous avons plus de 15 millions de visiteurs uniques par mois et 3,4 millions de commandes en 2014, rien que pour la section mode. Cela fait énormément d’informations, si bien qu’on sait à peu près tout sur nos clients. Grâce à ces analyses, nous pouvons même anticiper leurs désirs. Nous avons d’ailleurs lancé récemment, sur thecorner.com, une rubrique mixte qui ne différencie pas les vêtements pour homme des vêtements pour femme. Manifestement, c’est dans l’air du temps.

Avez-vous répondu à une demande en vendant des objets d’art, ou bien était-ce une simple folie de collectionneur ?

J’aime l’art certes, mais en vendre sur yoox.com était davantage une réponse aux besoins de nos clients. Je me suis rendu compte, avec le temps, que ceux qui ont du goût pour leur garde-robe en ont pour leur intérieur. On ne vend pas du Francis Bacon non plus, mais de l’art accessible, comme du Murakami en édition limitée.

Comment vous sentez-vous après quinze années de Yoox ?

Bien, fier de ce que j’ai accompli. Si Yoox était un livre, on en serait encore au chapitre 5, et il reste encore beaucoup de pages…

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Et que se passe-t-il au chapitre d’après ?

On appuie sur l’accélérateur. Notre trafic vient à 50 % des smartphones, le but est de développer ce nouveau comportement d’achat. A long terme, nous aimerions aider les marques à faire en sorte que leurs clients passent le plus naturellement possible du magasin physique au magasin virtuel.

Peut-on encore monter une start-up en 2015 ?

Il n’est jamais trop tard. Mon premier conseil pour celui qui se lance, c’est de trouver le bon équilibre entre business et créativité. Si vous ne savez pas le faire… trouvez un bon associé ! Le plus important, c’est votre équipe. Il faut bien s’entourer car vous ne pourrez pas tout faire tout seul, même si vous croyez le contraire.


Yoox en chiffres:

15 000 000 visiteurs uniques par mois sur Yoox Group

1 commande toutes les 9 secondes pour Yoox Group

1,3 Md € : le chiffre d’affaires cumulé de Yoox Net-a-porter Group

180 pays : couverts par Yoox Net-a-porter Group


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