Style Le 27/02/2017 par Felix Besson

Rencontre : le phénomène Pierre Hardy

C’est l’un des acteurs majeurs du secteur du soulier. Pierre Hardy, ses basket Colorama qui explosent les volumes de vente worldwide, le motif géométrique qui rend exclusif même le plus petit porte-carte. Et surtout, un talent qui a su se tailler une place de choix sur le marché. C’est dans son QG aux allures de loft moderniste que nous reçoit le créateur, un vendredi. L’occasion d’en savoir plus sur la légende Hardy, et les dessous d’une success-story à la française.

Par Félix Besson

 

Dix-sept ans que la maison Pierre Hardy bat le haut du pavé. Treize ans qu’elle chausse les grands mâles de la planète. Dix ans qu’elle rend l’accessoire aussi racé que le soulier. Avec ses deux boutiques parisiennes, une new-yorkaise et une tokyoïte à ouvrir dans deux semaine, le créateur est l’exemple même d’une croissance tranquille. Pas de turnover aussi impressionnant qu’une Maserati au démarrage, d’inondation du marché, de gigantesques campagnes de publicité à la limite du too much. Non, Pierre Hardy peut se vanter de maîtriser son image, son business et son développement. Même avec plus de 10 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2014, le label tient à garder une sorte d’anonymat, d’exclusivité qui fait son charme très parisien, un brin nonchalant. Créateur, professeur, Chevalier de la Légion d’Honneur, nous rencontrons la tête pensante du label qui révolutionne le concept de « soulier », mais aussi de l’industrie du luxe et de son fonctionnement. Portrait.

 

L’envie de créer était-elle déjà présente à votre sortie de Normal Sup?

Pas du tout. La mode était plus un hasard, une rencontre, un jeu d’abord. Ensuite, c’est devenu mon métier. Normal Sup est une école qui fait passer des diplômes d’enseignement,  j’étais donc censé être professeur. Métier que j’ai adoré faire. J’ai commencé par l’illustration pour des magazines, des bureaux de tendances. Un jour, on m’a dit « tiens, tu as l’air de bien savoir dessiner les chaussures, dessine une collection. Donc j’ai commencé par en faire une petite, puis un peu moins petite, et après c’était là.

 

Vous réinventez les classiques chaque saison pour en créer de nouveaux. Est-ce un bon crédo en terme de marketing?

Je trouve la notion du classique ambiguë. Elle existe, mais est mobile en même temps. Nous sommes tous à la recherche permanente du vrai T-shirt, du jean idéal, de la basket idéale, du trench idéal. Mais cet idéal n’existe pas vraiment. Il existe, mais est réinterprêté en permanence. Je ne suis pas sûr que si on sortait le trench idéal d’il y a dix ans, on en aurait encore envie. Pour les chaussures d’hommes, c’est un peu ça aussi.

En terme de marketing non, d’abord créatif. Après si ça devient un élément marketing, tant mieux (rires). La marge de manœuvre que je me suis imposée pour l’homme est relativement serrée. Il y a une partie plus égoïste qui ressort lorsque je travaille le soulier masculin. Je suis impliqué de façon plus personnelle.

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Intégrer le comité Colbert, comité qui tend à promouvoir le luxe français à l’international, a-t-il changé la donne ?

Non, ça ne change pas la donne. Le comité Colbert donne l’occasion de partager des valeurs avec des gens qui voient la création différemment. Ils ont d’autres métiers, sont à d’autres échelles, d’autres informations… C’est intéressant de confronter les idées. Ca ne change pas fondamentalement le fonctionnement au quotidien, mais ça donne une ouverture. C’est aussi agréable je trouve, de faire partie d’une communauté quelle qu’elle soit. Il y a un effet de groupe,  être accepté par des gens que l’on respecte aussi : Chanel, Hermès, des cristalleries, des bijouteries prestigieuses.

 

Vous parlez d’Hermès, avec qui vous travailler pour les collections souliers et bijoux. Que vous a apporté cette collaboration en terme de méthode? 

Je ne sais pas si ça m’a apporté quelque chose. Mais le fait qu’ils n’aient pas les mêmes attentes est déjà enrichissant en soi. Ca m’oblige à repenser des automatismes que j’ai sous un autre angle. Reconsidérer d’une certaine manière ce qu’est le luxe, le chic, la mode, parce que tout cela compte. Il faut toujours prendre un peu de distance, ce qui est nécessaire parfois. Il ne faut pas être trop nombrilliste. C’est comme jouer un rôle d’une certaine manière.

 

C’est donc ça votre recette du succès?

Oui parce que chez Hermès, je ne fais que créer. Après, il y a autour de moi des équipes très qualifiées qui assurent la partie logistique derrière. Je pense qu’il faut aussi de cela pour que ça réussisse et pour que ça marche. Il faut être vraiment entouré parce que tout seul, ça sert pas à grand chose.

 

Quel rôle joue le monde de l’art dans vos créations ?

C’est très impulsif. D’abord parce que le cycle créatif change très vite et tout le temps. Ce sont des couches d’images vues dans le passé qui se sédimentent, et on sait pas pourquoi il y a une idée qui ressort dans le magma de tout ce qu’on aime. Dans cette grande bibliothèque que l’on trimballe tous avec nous, tout ça se rencontre. J’avais adoré le film Interstellar, avec cette bibliothèque 4D, parce que je pense que le cerveau est vraiment fait comme ça. On ne sait jamais à quel moment un souvenir va ressurgir. Il y a beaucoup d’intuitions au final, et l’art est l’une d’elles.

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La partie business joue aussi un rôle important. 

Oui, il faut pas oublier que la mode n’est pas un art en soi, c’est une industrie. Je trouve que ce serait suicidaire et pas productif de pas en tenir compte. Si je n’exploite pas cette partie, d’autres le font pour moi. Il faut accepter de se confronter au réel, aux acheteurs, à la presse et à la réalité du marché. Ce n’est pas facile mais obligatoire dans la création d’une maison aujourd’hui.

 

Etes-vous plus un créateur global, finalement ?

J’aimerais bien oui. Fantasmatiquement. Le global va de l’hyper-concept jusqu’à l’hyper-trivial. Regarder le nombre de trous sur la bride, discerner leurs tailles, etc. La création est un entonnoir de méga à micro. Ce sont les détails qui comptent parce que s’ils ne marchent pas, le reste est ruiné. Ca n’est pas la peine d’avoir des grandes idées si on ne fait pas attention aux finitions.

 

Quelle est la patte Pierre Hardy ? 

Honnêtement, je ne sais pas (rires). Avant, je disais que c’était l’absence de détail, mais ce n’est plus vrai aujourd’hui. On voit bien que le consommateur a envie de détails, d’un certain foisonnement, une espèce d’hystérie baroque. C’est une question de dosage aussi. Je pense que de nos jours, la création est axée sur la manière dont on mélange les choses, dont on les additionne plutôt que les choses en elles-mêmes. Ma patte est définie par ce que j’aime, c’est un peu la définition d’un créateur. Et non un créatif, ça fait un peu années 80 comme terme.

Pierre Hardy, Jardins du Palais Royal, 156 Galerie de Valois, 75001 Paris, www.pierrehardy.com

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