Entertainment Le 25/08/2016 par Sebastien Nouet

Gad Elmaleh et Kev Adams en couverture de L’Optimum de Septembre

À l’occasion des 20 ans de L’Optimum, nous avons voulu présenter deux magazines, jetant un pont entre deux générations, celle qui a créé ce magazine (X) et celle (Y) des acteurs de la pop culture avec lesquels il faudra désormais compter.

Par Baptiste Piégay

Classés X

« La comédie, c’est la tragédie plus le temps. » Derrière la fameuse formule de Woody Allen se dessine une autre angoisse : sommes-nous vraiment les mieux placés pour évoquer notre génération ? La distance ne fait-elle pas défaut pour comprendre cette notion, assez flottante, prise autrement que sous l’angle démographique – soit une classe d’âge séparée de vingt-cinq ans de la précédente ?

En parlant de nous, de qui parle-t-on ? de soi et des autres ou de soi parmi les autres ? Après une longue séquence de drames, se regrouper sous une bannière générationnelle était moins une synthèse intellectuelle qu’un réflexe animal, pour se rassurer, se consoler. Sans cynisme, on doute qu’une fois dissipés les sombres nuages il en demeure quelque chose. L’euphorie porteuse de semblables illusions n’est guère plus fertile – mais si, souvenez-vous, la génération black-blanc-beur…

Un directeur marketing junior mouline sans doute à longueur d’heures supplémentaires les données attestant de nos liens invisibles, noués autour de nos us et coutumes consuméristes dont les caprices le désespèrent.

Et pourtant, par-delà le sac et ressac du contexte, par-delà nos relevés de cartes bancaires reliés comme pour rejoindre les étagères de la BNF, se font sentir des affinités, électives ou pas, en tout cas de quoi tisser un lien, peut-être pas une tapisserie, non, mais un genre de fond d’écran.

Deux variables récurrentes s’y repèrent : la comparaison avec la vague précédente, et les sentiments que nous inspire la suivante. Ballotés entre deux rivages, les passagers de la génération X ont quelques doutes sur l’origine de leur dénomination. C’est sous celle-ci que Capa désigne en 1953 son travail sur les jeunes hommes et femmes nés après la Seconde Guerre mondiale, et sous celle-ci que le punk érotomane Billy Idol désigne son premier groupe en 1976.

Nous savons qu’elle doit sa pérennité au roman publié en 1991 par Douglas Coupland : Generation X (au si prémonitoire sous-titre anglais Tales for an Accelerated Culture, soit Contes pour une culture accélérée) – cette génération, donc, si noyée dans le repli de l’enthousiasme des baby-boomers qui l’ont enfantée, que seul un X, le même que celui de Malcolm, pouvait l’identifier.

Nous savons moins en revanche que démographes et sociologues se sont sévèrement empoignés sur le bien-fondé de cette dénomination et les critères y présidant. Ainsi, une appellation concurrente, définie par William Strauss et Neil Howe, était « la treizième génération » – c’est-à-dire la treizième née après la Déclaration d’indépendance des États-Unis. Ils ont déterminé plusieurs facteurs délimitant une génération : de la défiance envers l’institution jusqu’à une sexualité libérée par la contraception en passant par l’extinction de la guerre froide et, cocassement, les « devil-child  movies » (où l’enfant est un monstre), tout cela faisait, bon an mal an, une génération. On doute que certaines de ces données soient encore pertinentes.

On doute moins cependant d’être nés sous le signe du X – soit une génération définie par les aînés, qu’il nous appartient de secouer toujours en tous sens pour les faire mentir et se l’approprier.

Cover-X


Comme si vous « Y » étiez

Un des ressorts classiques de la comédie – si classique qu’il est étonnant de le voir encore à l’œuvre, pas encore rouillé jusqu’à la paralysie – tient à l’échange corporel (un homme se réveille dans le corps d’une femme, d’un ami, d’un chien, d’un aspirateur, etc.).

Imaginons brièvement d’investir non pas l’enveloppe corporelle d’un représentant de la génération Y – soit un cadet de vingt-cinq ans (quoique, ça grince certains matins) – mais de partager parfaitement son regard sur le monde. Mieux que l’empathie, la télépathie. Essayons tout de même, faute de vis comica scénarisée vite fait.

Comment verrait-on ce monde familier aux yeux que nous empruntons ? Synthétisé en 140 caractères, capturable en vignette vidéo de dix secondes ? Un monde légèrement simplifié, en somme, filtré – jusqu’à l’essence de l’essence – raffiné comme on le dit du sucre – pour être partagé, diffusé, monnayé (dans le meilleur des cas) ?

Ni la nostalgie ni la panique de se voir doublé par plus habiles (du moins pas encore) ne nous tétaniserait. Escape Game, réseau géant, on appréhenderait le quotidien façon salle de jeu infinie, sans frontière ni besoin d’une nouvelle pièce pour relancer la machine, où bondir de forum en forum tiendrait lieu de café du commerce – versant collaboratif plutôt que commérages. Pour rester du côté de l’optimisme, en ignorant les poubelles sans contrôle où se déversent quotidiennement injures et calomnies radioactives avec une indécence qu’aucun « vieux » journal ne s’autoriserait.

La « Y » donc, en mode inquisition si l’on opte pour la prononciation anglosaxonne (why) serait-elle pourtant pertubée par son environnement déserté par les utopies ?

Trop fantasmer sa jeunesse révolue, idéaliser nos cadets, leur liberté et leur insolence, serait bien vain. Si ce n’est idiot : eux nous diraient que là où nous voyons la liberté, ils voient la précarité, et que leur insolence est anxiété inversée – et que de toute façon, nous sommes trop vieux et ne comprenons rien à ce présent qui se dérobe sous nos pieds.

Ce monde en mode pop-up, tout en capsules, avançant par à-coups éphémères (un éphémère que les mêmes concepteurs d’applications à péremption immédiate s’acharnent désormais à figer dans l’éternité, en témoigne la dernière mutation de Snapchat), grise le spectateur plus que ses acteurs, guettant déjà les successeurs des « millennials » dans le rétroviseur. Et si elle n’en menait guère plus large, la Y, et ne regrettait pas plus amèrement que nous l’effritement des espérances collectives ? Notre considération, un rien condescendante, pour ce qu’elle est – ou serait, ou pourrait être – ne serait jamais que le reflet de nos regrets. Comme dans Sixième Sens, à défaut d’être morts, nous voyons dans l’Y ce que nous aurions préféré être si nous avions aujourd’hui 20 ans.

On est toujours l’idiot d’un autre rappelle l’évidence. Et le jeune, ou le vieux, d’un autre. Certes. Et pourtant, comme les coureurs cyclistes offrent dans leur sillage une aspiration, de quoi s’y glisser pour s’embarquer à leur suite, il serait bon de renverser les hémisphères pour faire mentir l’état civil – et se moquer des obligations qu’il nous fait.

Cover-Y

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